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roues, rayonnait comme un foyer de lumière, au milieu duquel on distinguait le prince. À voir ce jeune homme pâle et somnolent près de la figure immobile et ridée de l’eunuque, qui semblait couver sa proie, on eût plaint volontiers le captif insensible à sa chaîne, ou du moins impuissant à la secouer ; mais le peuple de Constantinople avait de bien autres soucis. Il contemplait de loin toutes ces merveilles, et les pennons de soie flottans, brodés d’animaux fantastiques, qui ombrageaient, comme un dais, le char impérial. Heureux qui pouvait apercevoir le prince, admirer l’éclat de ses pendans d’oreilles, l’orbe éblouissant de son diadème, le nombre et la grosseur des perles quirecouvraient son vêtement et jusqu’aux bandelettes de sa chaussure ! La ville n’avait pas d’autre conversation ni le soir ni les jours suivans. Au retour de Phrygie, c’étaient des fêtes d’un genre différent, mais non moins dispendieuses : on simulait un triomphe militaire ; Arcadius, reçu par les troupes, l’épée au poing, était réinstallé dans son palais, au bruit des fanfares, comme s’il fût revenu vainqueur des Perses ou des Huns. Ces traits de mœurs nous sont donnés par les contemporains eux-mêmes, et, en les reproduisant ici, nous les avons plutôt affaiblis qu’exagérés.

C’est ainsi que l’eunuque amusait par des divertissemens un prince enfant et une capitale aussi frivole que lui. Dans les provinces, l’esprit était tendu surtout vers la lutte des deux ministres ; leur inimitié, leurs projets patens ou secrets, leurs mérites divers, leurs chances de réussite étaient l’objet de tous les entretiens, la thèse de toutes les discussions. Si ces instrumens subordonnés de l’autocratie impériale avaient eu l’ambition d’effacer leurs maîtres, cette ambition devait être bien satisfaite, car on semblait à peine savoir qu’Honorius et Arcadius fussent vivans et sur le trône : on ne connaissait qu’Eutrope et Stilicon. Les mesures de police établies depuis la guerre gênant considérablement les communications d’un empire à l’autre, on s’adressait aux voyageurs pour apprendre d’eux ce que les lettres n’osaient pas dire. Un historien du temps, qui habitait une ville de l’Asie-Mineure, nous raconte comment les curieux, en quête de récits, accostaient les nouveaux débarqués dans les ports, et les patrons de navires, qui, plus que tous les autres, avaient à subir de longs interrogatoires. — « Vous venez de Ravenne ? de Constantinople ? — Que s’y passe-t-il ? qu’y dit-on ? — Le régent d’Occident nous menace-t-il d’une guerre ? Connaissez-vous Stilicon ? — Avez-vous vu l’eunuque ? » Les réponses n’étaient la plupart du temps que des mensonges, selon la remarque du même historien ; mais ces nouvelles imaginaires contentaient la crédulité et lui servaient d’aliment jusqu’à ce qu’elles fussent remplacées par d’autres. Toutefois en dépit de la gêne des communications,