en dépit de la stagnation des affaires commerciales, il se formait dans l’esprit des grandes villes de l’Asie une sorte de patriotisme oriental favorable à l’eunuque : beaucoup approuvaient le fond de sa politique, et il n’eût pas été prudent aux autres de soutenir trop vivement celle de Stilicon.
Eudoxie cependant supportait avec une impatience croissante l’espèce d’exil où elle était condamnée dans son propre palais. Cette fille altière des Franks, en qui le sang barbare coulait presque pur, ne se consolait pas d’avoir été le jouet d’un esclave, elle qui n’avait rêvé dans son mariage que les satisfactions de l’orgueil et le triomphe d’une domination absolue. Quand, révoltée contre sa chaîne, elle s’efforçait de ressaisir par les séductions de la femme la puissance qui lui échappait, elle rencontrait au fond de son gynécée un regard insolent qui semblait la menacer jusque dans les bras de son époux ; mais ses efforts pour reconquérir son autorité ne parvenaient qu’à l’affaiblir. Trop violente, trop impérieuse pour ce faible jeune homme qu’elle effrayait, la Barbare voyait son esprit s’amortir avec l’éclat de sa beauté, et elle put à bon droit regretter l’existence paisible qu’elle menait dans cette modeste maison de Promotus, d’où ce même Eutrope l’avait tirée. Elle se prit donc d’une haine féroce contre son tyran, ne se nourrit plus que d’idées de vengeance, et, appelant à son aide le mécontentement public, elle résolut de jouer dans un dernier coup de fortune la perte de l’eunuque ou la sienne.
Les amis ne lui manquèrent point dans la haute société de Constantinople, et elle put compter sur l’appui de quiconque avait à se plaindre d’Eutrope. Trois femmes surtout, ses intimes confidentes, mirent au service de sa vengeance leur propre haine, égale à la sienne, et un puissant génie d’intrigue. L’histoire nous a conservé leurs noms, devenus célèbres dans les luttes d’Eudoxie, dont la vie ne fut qu’un long combat : c’était d’abord Marcia, récemment veuve de Promotus, le tuteur officieux de l’impératrice, puis Castricia, femme de Saturninus, fonctionnaire éminent, prince du sénat, et enfin une autre veuve, appelée Eugraphia, brouillonne acariâtre qu’un contemporain nous peint d’un seul trait : « elle poussait, dit-il, l’esprit de discorde jusqu’à la folie. » Ce trio féminin forma autour de l’impératrice un foyer permanent de dénigrement contre le ministre et contre ses actes. Les ennemis d’Eutrope, hommes et femmes, s’y rallièrent avec empressement, et l’intrigue de palais finit par être un vrai complot où des ambitieux prirent pied pour leur fortune, en paraissant servir l’épouse du prince. La galanterie se mêle assez naturellement aux conspirations dont les femmes sont l’âme ; c’est ce qui arriva pour celle-ci, ou du moins ce qu’on ne manqua pas de prétendre. L’impératrice eut à en souffrir dans son honneur. Eudoxie