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mais appelée par sa position à commander les gorges où l’ennemi s’engageait. Décidés à se débarrasser de ces brigands, et conduits par un ancien officier d’un grand courage nommé Valentinus, les habitans allèrent, à l’approche de la nuit, se poster sur les hauteurs, d’où, se démasquant tout à coup, ils firent pleuvoir au fond de la vallée une telle avalanche de pierres que les lignes barbares furent rompues et une partie de la troupe ensevelie sous un amas de rochers. Le vallon aboutissait à un escarpement d’une prodigieuse hauteur que l’on ne pouvait franchir que par un sentier tortueux, à peine assez large pour deux hommes de front. C’est là que Valentinus se proposait de rejoindre au point du jour les Gruthonges, pour les exterminer, et il avait confié la défense du sentier à un autre habitant de Selgé, nommé Florentius : mais celui-ci, gagné par l’argent de Tribigilde, lui livra passage. Les Gruthonges étaient déjà loin quand le jour parut, et ils atteignirent la Pamphilie en suivant le cours de l’Eurymédon.

Pendant cette marche des Barbares, Léon s’était mis à leur poursuite, et il arriva presque en même temps qu’eux aux défilés du mont Taurus. Il franchit cette chaîne sur leurs derrières, et les deux armées se trouvèrent bientôt en présence dans la vaste plaine où coulent l’Eurymédon et le Mélas, et que ferment au nord les derniers contre-forts de la montagne, au midi le golfe de Pamphilie. Elles y manœuvrèrent durant plusieurs jours, Tribigilde évitant une bataille décisive, Léon cherchant à l’acculer le long du golfe pour finir la guerre par un seul combat. Dans cette situation d’ailleurs fort critique, le chef gruthonge ne manqua ni de sang-froid, ni de ruse. Étudiant par des mouvemens simulés les dispositions de son ennemi, il feint un découragement qui accroît la confiance des Romains : sûrs de vaincre, ceux-ci se contentent de le bloquer contre la mer, en attendant qu’il leur plaise de l’y rejeter avec toutes ses forces. Quant à Léon, en dépit des précautions les plus vulgaires, il va adosser son camp à un marais qui peut lui couper la retraite, tandis qu’il se fortifie à peine du côté des Barbares, soit ignorance du général, soit plutôt indiscipline du soldat et refus d’exécuter les travaux de défense. A l’intérieur règne une anarchie sans nom : on ne connaît ni gardes, ni sentinelles ; les soldats courent librement la campagne, ou passent la nuit à jouer et à boire. Tribigilde aux aguets épiait le moment favorable pour une attaque. En effet, par une nuit obscure, il approche à pas de loup, franchit un rempart mal gardé, et lance son armée sur le camp ennemi. Les Barbares n’ont d’autre peine que d’égorger des gens surpris ou endormis dans l’ivresse. Les Romains qui parviennent à s’échapper rencontrent le marais qui leur barre le chemin ; ils essaient inutilement de le traverser et vont s’entasser par monceaux dans la vase. Léon, entraîné