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tumée, lorsque je la vis entrer. « Eh ! d’où viens-tu donc ? lui demandai-je. — Du champ de foire, me répondit-elle, où j’ai acheté le collier d’ambre. — Ah ! bonne, aimable et douce créature ! m’écriai-je en la prenant dans mes bras, par quelles prévenances charmantes tu sais réparer les vivacités où ton cœur n’a point part ! Allons vite porter ce collier à Henriette, qui sera d’autant plus ravie de le tenir de toi que tu l’as plaisantée un peu durement hier au soir. » Elle se dégagea brusquement de mon étreinte. « Tu te trompes, me dit-elle, j’avais vu ce collier avant-hier, et j’en avais eu envie ; par conséquent il est juste que je l’aie : c’est pourquoi je l’ai acheté et c’est pourquoi je le garderai. Du reste, il irait très mal à Henriette, qui ne voulait l’avoir que parce qu’elle avait deviné que je le désirais. Ce bijou serait ridicule pour elle, car les Fatargolle, tout le monde sait cela, ne sont pas en position de faire une aussi grosse dépense. » En achevant ces paroles, elle attacha le collier autour de son cou, et comme j’essayais de la faire revenir à des sentimens plus équitables envers son amie : « Ah ! tu m’ennuies ! me dit-elle ; si tu n’aimais pas Henriette, tu ne prendrais pas toujours son parti contre moi ! Si elle n’est pas satisfaite, elle n’a qu’à rester chez elle ; nous y gagnerons tous ! »

Le soir, M. et Mme Fatargolle vinrent nous voir vers les neuf heures. Henriette avait le visage allongé d’une personne qui a supporté une déconvenue ; son mari riait, selon son invariable habitude. « Le sort nous force à être sages malgré nous, me dit-il en entrant, le collier d’ambre n’y est plus, et ma pauvre femme en est toute contrariée. » J’étais fort troublé, car plus j’avais réfléchi, plus j’avais trouvé le procédé de Célestrie agressif et peu aimable. En levant les yeux, Henriette aperçut le collier, dont les perles, pénétrées par la lumière de la lampe, brillaient comme des gouttes d’or liquide au cou de Célestrie. « Ah ! dit-elle avec un cri d’étonnement qu’elle ne put réprimer, c’est vous qui l’avez ? — Eh ! pourquoi donc ne l’aurais-je pas ? repartit Célestrie avec aigreur. Mon mari ne me refuse jamais rien pour ma toilette, et Dieu merci nous sommes assez riches pour acheter des colliers. » Commencée sur ce ton, la conversation dégénéra bientôt en dispute. M. Fatargolle et moi, nous nous regardions sans mot dire, pendant que les deux femmes, debout, rouges, parlant à la fois, s’accablaient de reproches qui ressemblaient bien à des injures. Suffoquée par ses larmes, Henriette prit tout à coup le bras de son mari. « Sortons d’ici, lui dit-elle, et n’y revenons jamais. » Ils s’en allèrent sans même nous dire adieu. Je ressentis une douleur sincère en les voyant s’éloigner, car cette relation était agréable pour nous, et il n’y avait aucun motif plausible de la briser. J’en fis l’observation à Célestrie, qui me répondit : « Si tu les