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de Célestrie. Une fois j’eus envie de le prendre et d’aller le jeter à la rivière ; Célestrie me fit de tels reproches, si douloureux et si acres en même temps, que je n’eus pas le courage de mettre mon projet à exécution. Je comprenais vaguement qu’un malheur planait sur nous ; mais l’inconcevable fatalité de ma vie déjouait mes projets les plus sages, et la catastrophe s’abattit sur moi comme la foudre.

C’était pendant les premiers jours du mois d’août. Une chaleur accablante rampait sourdement sous un ciel de plomb. Les oiseaux se taisaient parmi les feuilles immobiles ; un air épais et carbonique miroitait au-dessus des prairies desséchées comme au-dessus d’un terrain sulfureux. Voilé de gros nuages blanchâtres que nulle brise ne remuait, le soleil laissait tomber sur nous des effluves semblables à l’haleine d’un four embrasé. Les chiens haletans, couchés à l’ombre, le museau étendu sur leurs pattes, tiraient la langue et ne luttaient plus contre les mouches voraces qui les harcelaient ; les hirondelles même, moins rapides dans cette atmosphère alanguissante, volaient mollement en rasant la surface des eaux où nul poisson n’apparaissait. Parfois on entendait à l’horizon le bruit sourd d’un tonnerre lointain. Je revenais du collège, me traînant à peine, sentant un cercle de fer presser mes tempes : un engourdissement singulier m’avait saisi ; mes pensées étonnées et comme disloquées s’agitaient dans ma tête sans pouvoir se rejoindre, pareilles aux tronçons d’un serpent coupé. Ma peau brillait, et cependant une sorte de froid glacial circulait jusque dans la moelle de mes os. Avant de rentrer chez moi, je fus obligé, par lassitude, de m’arrêter sur les bords de la rivière ; j’y trempai mon front pour en dissiper l’insupportable douleur ; les objets dansaient devant mes yeux et prenaient des formes étranges ; j’entendais de grands bourdonnemens dans mes oreilles ; j’étais comme ivre, tout à fait étourdi, et je trébuchais à chaque pas.

Henriette était chez moi lorsque j’y arrivai ; en m’apercevant, elle fit un geste d’effroi que je me suis rappelé depuis, mais que je ne remarquai pas sur le moment même. Une fatigue trop énervante était en moi pour que je pusse faire attention à quoi que ce soit ; je me laissai tomber sur une chaise en prenant ma tête dans mes mains. « Qu’avez-vous donc. Floréal ? me demanda Henriette. — Je souffre, lui répondis-je, cette chaleur me fait mal. » Elle me baigna les tempes avec de l’eau fraîche, et comme je levais les yeux vers elle pour la remercier, j’aperçus le collier d’ambre qui brillait à son cou comme un chapelet de feu. La malheureuse avait profité de mon absence pour l’essayer, et mon retour l’avait surprise avant qu’elle eût pu le retirer. À cette vue, Célestrie se dressa en moi comme une furie ; je la