Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/613

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cours d’eau, grâce peut-être à un lent mouvement de bascule qui semble faire pencher l’Amérique du Nord vers le sud-est, ne cesse au contraire d’empiéter sur sa rive gauche[1].

C’est probablement dans l’immense territoire russe, et en particulier dans le bassin de la Caspienne, que le phénomène du déplacement normal des fleuves se prête aux études les plus intéressantes. Là en effet se trouvent réunies toutes les conditions favorables à l’empiétement graduel des eaux sur la rive droite de leur lit. Le Volga surtout se fait remarquer sous ce rapport parmi tous les fleuves de la Russie. Son cours, assez droit et souvent parallèle au méridien, lui permet de traverser rapidement des latitudes dont la vitesse angulaire augmente rapidement ; il roule une masse d’eau considérable qui peut balayer bien des obstacles ; ses énormes crues accroissent périodiquement sa force d’érosion ; les falaises qui le bordent sont composées d’un sol friable. Désormais ses envahissemens continuels, qui ont causé tant de surprise aux géologues, ne seront plus un sujet d’étonnement pour personne, et d’avance on pourra calculer la rapidité de sa marche vers l’ouest. Bien que l’influence de la rotation du globe sur les empiétemens des fleuves fût déjà indiquée et même exposée longtemps avant la publication des Études sur la Caspienne, c’est à M. de Baer qu’il faut faire remonter l’honneur d’avoir dégagé cette découverte de toute obscurité et de l’avoir étayée sur des preuves irrécusables.

La création des deltas, l’érosion des falaises, l’égalisation du sol des steppes et tous les autres changemens introduits par les fleuves dans le relief de la contrée et la forme de la Mer-Caspienne sont peu de chose cependant, comparés à la véritable révolution géologique qui a suivi la séparation du Pont-Euxin et de la Caspienne en deux mers distinctes. Lorsque ces deux nappes d’eau ne formaient encore qu’une seule et même méditerranée, la Mer-Noire entourait de ses eaux le massif montagneux de la Crimée, recouvrait tous les steppes

  1. Dans un intéressant volume publié récemment sous le titre d’Harmonies de la Mer, M. Julien, s’appuyant sur une affirmation fort légère de M. Babinet, prétend que dans notre hémisphère les alluvions des fleuves se déposent invariablement sur la rive droite en vertu même de la rotation du globe. Or c’est précisément le contraire qui a lieu, excepté pour le Mississipi et d’autres cours d’eau qui se trouvent dans des conditions particulières. Il est vrai que tous les bois de dérive, toutes les épaves flottantes entraînées par le gulfstream, dévient sur la rive droite de ce courant ; mais les cours d’eau contenus entre deux rivages ne peuvent être comparés au gulfstream, qui coule librement au milieu de la mer. Dans ce fleuve maritime, tous les débris que porte le courant trouvent immédiatement à droite une eau tranquille, et ils n’ont qu’à suivre leur pente pour aller s’y déposer ; mais, dans les fleuves des continens, les sédimens tenus en suspension ne peuvent s’arrêter là où passe toute la masse des eaux, rongeant constamment le rivage. Laissées, puis reprises, puis déposées de nouveau pour être entraînées encore, toutes les alluvions finissent par être rejetées sur la rive la plus éloignée du fil du courant. Dans l’hémisphère du nord, cette rive est la rive gauche.