Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/615

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Si importante qu’elle soit, cette action des vagues sur quelques rochers ne saurait se comparer aux traces laissées par les eaux sur tous les rivages actuels des steppes d’Astrakhan. Ces témoignages du travail de la mer méritent une étude toute spéciale, et ce n’est qu’après en avoir donné une explication satisfaisante qu’on pourra espérer de résoudre le problème si complexe du partage de la Méditerranée ponto-caspienne en deux mers distinctes. On peut observer ces vestiges d’une grandiose révolution principalement entre l’embouchure du Volga et elle du Kouma. Là, les indentations de la côte affectent une forme des plus étranges : malgré l’énorme différence qu’offrent la formation géologique des steppes d’Astrakhan et celle des montagnes primitives de la Scandinavie, les baies de la Caspienne ressemblent d’une manière frappante aux fiords de la Norvège ; la côte, découpée régulièrement par des canaux très étroits et longs de 20, 30, 40 et même 50 kilomètres, projette dans la mer d’innombrables presqu’îles parallèles et dirigées de l’ouest à l’est. Jusqu’à une grande distance dans la mer, les îles sont également disposées en rangées parallèles et séparées par de longs détroits ; simples continuations des péninsules, elles forment des espèces de chaînons qu’interrompent de distance en distance les eaux de la mer, et qui s’abaissent par chutes successives d’île en îlot et d’îlot en bas-fond. Les milliers de canaux qui séparent ces étroites levées de terre sont un immense dédale inexploré même des pêcheurs ; les cartes les plus détaillées peuvent seules donner une idée de cet étrange fourmillement d’îles, d’îlots, de canaux et de baies. Il va sans dire que ces fiords caspiens n’ont rien de la sublimité sauvage des fiords de la Norvège ; ils n’ont qu’une faible profondeur et sont obstrués de bancs de sable ; les rivages qui les bordent ne sont pas ces âpres rochers d’où s’élancent de merveilleuses cascades : du côté de la terre, l’horizon est borné par la plaine des steppes et non par ces grandioses mers de glace des Alpes scandinaves ; mais, bien qu’inférieures en beauté, les indentations de la côte Caspienne ne sont pas, au point de vue géologique, moins intéressantes que celles de la Scandinavie.

Entre chaque baie parallèle se prolonge une série de hauteurs qui va se rattacher dans l’intérieur des terres au sol uniforme des steppes. Ces bugors, ou monticules en chaînons, sont en général très étroits, tandis que leur longueur varie de 500 mètres à 5 et même 7 kilomètres ; ils s’élèvent d’ordinaire à la modeste hauteur de 8 ou 10 mètres, mais il en existe aussi qui atteignent une élévation presque double. Vu d’un ballon, l’ensemble des bugors doit rappeler une campagne marécageuse labourée par une gigantesque charrue. Immédiatement à l’ouest du Volga, les limans, ou sillons qui séparent les bugors, sont toujours changés en rivières. Pendant les inon-