Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/635

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théologiens de nos jours la science de l’histoire et l’étude attentive des matériaux bien autrement riches dont elle dispose aujourd’hui, non-seulement il leur offrira une anthologie des pères de l’église rassemblée d’une main ingénieuse, mais il leur rappellera que l’auteur l’a surtout composée pour provoquer ses lecteurs à la recherche du vrai et aiguiser leur intelligence par cette recherche. »

Une telle page mérite d’être conservée; nous la recommandons à ceux qui écriront un jour l’histoire de la critique religieuse au XIXe siècle. L’auteur, théologien pieux autant que libéral, a éprouvé naïvement en face de cette résurrection d’Abélard ce que bien des esprits ont éprouvé, il y a six cents ans, à la voix d’Abélard en personne. Abélard éveillait les esprits, et, les prémunissant contre toute solution étroite et prématurée, il les préparait à une foi non-seulement plus haute, plus lumineuse, mais plus vivante et plus efficace, puisqu’elle était le produit de leurs efforts. M. Henke connaît les dangers de ce qu’on appelle la critique; il sait qu’on peut abuser de tout, et que le remède peut se changer en poison, comme le poison peut devenir un remède; mais, chrétien convaincu, le pire de tous les maux à son avis, c’est la torpeur de l’âme, et par ce mot il entend surtout la pusillanimité des esprits qui craignent pour leur foi le moindre rayon de lumière. Aussi, maintenant que les excès de la critique ont ramené les églises protestantes d’Allemagne sous le joug d’un dogmatisme intolérant, maintenant qu’on voit des consistoires proscrire la science à tort et à travers, le pieux théologien de Marbourg ne craint pas d’invoquer l’assistance d’Abélard. « Il a réveillé les consciences de son temps, s’écrie M. Henke; il peut encore réveiller les nôtres. »

On ne s’attendait pas à cette justification d’Abélard au nom de la foi chrétienne et du réveil des âmes. Parmi les ouvrages qu’a suscités la publication de M. Cousin, si la première place appartient sans conteste à l’Abélard de M. de Rémusat, je n’hésite pas à donner la seconde à l’édition du Sic et non de MM. Ernest Henke et George Lindenkohl. Critique pénétrant, cœur libéral, intelligence initiée à tous les secrets de la dialectique, à tous les problèmes de la philosophie, M. de Rémusat a surtout cherché dans Abélard le dialecticien et le philosophe : il est naturel que des théologiens, et des théologiens allemands, aient vu dans ses œuvres, par-dessus toute autre chose, le promoteur de la critique théologique. L’ouvrage de M. de Rémusat, en même temps qu’il contenait une vive peinture du XIIe siècle, sert à faire apprécier l’école historique du XIXe le Sic et Non publié à Marbourg, hommage rendu à la théologie du moyen âge, a aussi sa place marquée dans la critique religieuse de notre époque. Enfin, par des mérites très opposés, ces deux ouvrages si