Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/675

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gence unanime ; on marche pour ainsi dire en force et de front vers la vérité, la justice et le bien public ; les volontés s’accordent toujours, lors même que les opinions se combattent, et il en résulte infailliblement que, tendant au même but, tout se confond dans le désir d’y atteindre. Tout ce qui procure le bien nous paraîtra également glorieux ; dès que l’on a dirigé vers lui tous ses efforts, on se félicite également d’y contribuer, tantôt par un succès, tantôt par un sacrifice. Tous les succès seront communs et deviendront ceux de chacun de nous. Nous ne connaîtrons de rivalité que celle de l’application et du zèle ; la province qui nous observe bénira tous les jours l’institution qui lui offre un si touchant exemple, elle attendra avec plus de patience et d’espoir le fruit de nos travaux, et nos assemblées pourront devenir des écoles de mœurs autant que d’administration. »

Au nombre des questions spéciales dont s’occupa l’assemblée de Picardie, on peut citer ce qu’on appelait dans le Santerre les dépointemens. Le procès-verbal s’exprime à ce sujet dans les termes les plus énergiques. « Un mémoire a dénoncé à l’assemblée ce genre d’abus qui consiste dans l’usage où sont les fermiers de se perpétuer par toute sorte de voies illicites, et contre le gré des propriétaires, dans la jouissance des biens affermés, ce qui leur donne une espèce de propriété fictive, qui dépouille presque entièrement par le fait le véritable maître de la chose. Cet abus est porté si loin que les fermiers de ce canton mettent les biens de leurs propriétaires dans le commerce, soit en vendant à d’autres la faculté de les exploiter, soit en les donnant en dot à leurs enfans, soit en les laissant dans leurs successions à partager entre leurs héritiers. Les fermiers dépointés se livrent à toute sorte d’excès contre ceux qui ont la hardiesse de leur succéder, jusque-là qu’ils deviennent assassins et incendiaires. On a présenté un relevé effrayant fait au greffe criminel du bailliage de Péronne des délits occasionnés par les dépointemens. On a fait voir qu’un incendie particulier devenait presque toujours général, et qu’ainsi la vengeance d’un fermier dépointé entraînait souvent la ruine d’un nombre infini de citoyens. On a montré que cet abus portait les plus fortes atteintes à la propriété, soit parce que le véritable maître du bien ne peut pas le retirer pour le faire valoir lui-même sans encourir la vengeance du fermier dépossédé, soit parce qu’il ne peut jamais l’affermer dans la juste proportion du produit, et ne trouve pas souvent à le vendre la moitié de sa valeur. »

Une déclaration du roi, en date du 20 juillet 1764, avait tenté de réprimer ces désordres, qui rappelaient un des plus grands fléaux de l’Irlande ; mais les dispositions de cette loi restaient impuissantes