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couché, se releva et ralluma sa lampe. Il était à sa montre minuit passé. Il mit une robe de chambre, et chaussa des pantoufles à semelles de feutre ; puis il alla ouvrir une de ses malles, fermée à deux cadenas, et, soulevant plusieurs paquets de linge ou de vêtemens, il en retira une bande de cuir, très solide et longue de plusieurs mètres, laquelle finissait par un nœud coulant. C’était un lasso qui avait de bons états de service et ne s’en portait pas plus mal pour cela. Dick, en déroulant une certaine longueur, la fixa très solidement par une de ses extrémités à la poignée d’une porte, puis il prit l’autre bout et le lança par une fenêtre qu’il avait ouverte, laquelle donnait sur le parterre. Au-dessous de cette fenêtre était celle de la chambre d’Elsie, située au rez-de-chaussée. Rien n’eût été plus simple, pour notre agile Buénos-Ayrien, que de franchir la hauteur d’un étage, et pour cela il n’avait pas besoin de lasso ; mais il ne voulait pas laisser sur les plates-bandes la moindre trace de son passage, ce qui expliquera sa manœuvre aux moins experts en ces matières.

Suspendu à son lasso, le Buénos-Ayrien se laissa glisser comme un chat-tigre jusqu’à hauteur de la fenêtre inférieure, et, comme il l’avait prévu, cette fenêtre était ouverte, la nuit étant assez chaude. Alors, par un adroit tour de reins, il se donna l’élan nécessaire pour se laisser tomber, sans faire le moindre bruit, à l’intérieur de la chambre. Je ne sais si Clodius pénétrant chez les vestales était beaucoup plus ému que maître Dick ; mais j’affirme que ce dernier, tout belliqueux qu’il fût, commençait à se repentir de son entreprise téméraire. Il écouta cependant, et n’entendit pas le plus léger souille. Il avança de quelques pas, et rien ne l’avertit qu’on eût les yeux sur lui… Il souleva la mousseline des rideaux… Dieu merci, Elsie n’était pas là !… Où elle était, nul ne le pourrait dire. Richard Venner poussa un profond soupir, dans lequel le regret n’entrait pour rien, mais absolument pour rien. Il était tout à la joie de se voir ainsi hors d’affaire, sans avoir aucun reproche à s’adresser. Le ciel bien évidemment prenait ses intérêts, et l’avait empêché de les compromettre par une sottise dont il commençait justement à bien apprécier la gravité.

À ce sentiment de joie se mêla bientôt une curiosité très vive. Jamais, cela va sans le dire, il n’avait mis le pied dans ce sanctuaire virginal, et il y promenait de tous côtés des regards avides. La chambre d’Elsie était bizarre comme ses manières et son ajustement. C’était une espèce de musée forestier, collection d’objets que, dans l’épaisseur des bois, l’œil d’un profane ne saurait discerner, et que ceux dont le regard est plus exercé seraient parfois bien embarrassés d’atteindre : des nids de corbeaux, par exemple, toujours perchés à l’extrême cime des arbres les plus élevés ; des œufs d’oiseaux rares