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tions sur les lieux, ou qui n’ont pas eu sous les yeux les pièces du procès. Voilà les commissaires européens réunis à Beyrouth, au nom de l’Europe, qui ont tout connu et tout examiné; ils déclarent que ce sont les Turcs qui sont responsables des massacres de Syrie, qu’ils sont aussi coupables au moins que les Druses qui ont pris part aux meurtres, et que le tribunal turc de Beyrouth n’a songé qu’à les acquitter ou à les frapper de peines illusoires. Ce verdict solennel de l’Europe est un grand fait moral; c’est la conclusion que l’histoire doit adopter, c’est la vérité qui doit rester dans la conscience européenne. Les massacres de la Syrie sont, comme ceux de Djedda, à la charge de la Turquie, et j’ajoute que, de même que Namik-Pacha, qui avait laissé faire les massacres de Djedda, vient d’être nommé ministre de la guerre, on verra sans doute d’ici à quelques mois Kourshid-Pacha, que le tribunal de Beyrouth a condamné à la détention pour sa connivence dans les massacres de Syrie, gracié et récompensé, afin de vérifier le mot de lord John Russell sur cette condamnation qui « masque une confiance récente et un avancement prochain. »

J’ai insisté à dessein sur l’importance morale de la déclaration des commissaires européens de Beyrouth, parce qu’elle n’a pas eu d’autre importance, et qu’il faut qu’elle vaille au moins pour l’histoire, n’ayant malheureusement pu valoir ailleurs. La commission, qui était d’accord sur la culpabilité des Turcs, était divisée sur celle des Druses. Il y avait des membres qui approuvaient comme justes les condamnations prononcées contre les Druses; d’autres les trouvaient trop sévères. Fuad-Pacha se servit avec habileté de cette division sur un point pour ne pas tenir compte de l’accord sur les autres, et il déclara qu’en présence des dissentimens qui s’étaient manifestés, il lui était impossible de rien changer aux sentences du tribunal de Beyrouth, et qu’il en référait pour l’exécution à la décision de la Porte-Ottomane[1]. La commission internationale, qui sentait bien que Fuad-Pacha se servait de ses divisions et de ses rivalités pour annuler son autorité, fit encore un effort pour s’entendre et se mettre d’accord. L’effort fut inutile, et alors Fuad-Pacha, devenu le maître de la situation, exposa « que dans l’état de la question, un tribunal ayant rendu régulièrement des sentences, il n’avait, quant à lui, comme représentant du pouvoir exécutif, qu’à les confirmer tant pour les chefs druses que pour les fonctionnaires et officiers ottomans; mais, eu égard à la divergence d’opinions qui s’est manifestée dans la commission, il ajournerait toute autre mesure ultérieure jusqu’à ce qu’il ait reçu sur l’ensemble de la question les ordres de son

  1. Documens anglais, p. 502, n° 375. Vingt-troisième séance de la commission internationale, 28 février 1861.