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Victor-Eramanuel, n’est-ce point la terre ferme ? Est-on bien sûr qu’il y comprenne les îles ? Puis, une fois la thèse bien établie, il s’agit de savoir ce que vaut la Sardaigne au point de vue maritime. Il n’y a pas de meilleures rades dans la Méditerranée que les ports naturels de la Sardaigne. C’est Nelson, Nelson qui l’a dit, et l’on apporte en témoignage la correspondance du grand homme de mer. L’Angleterre ne peut donc pas permettre que la France s’adjoigne la Sardaigne. Sir Robert Peel met sa plus chaude éloquence au service de cette conclusion. Un esprit ingénieux, un élégant érudit en matière d’art et d’histoire, M. W. Stirling, se joint à cette charge patriotique. Le ministre enfin lui-même prend la parole, il pèse longuement et avec le plus grand sérieux la vraisemblance des desseins dénoncés par ses honorables amis et les conséquences graves qu’auraient les projets prêtés à la France, s’il y était donné suite.

Pour couronner le comique de cette scène, il n’est rien comme le prétexte sur lequel lord John Russell a cru devoir fonder sa défiance invétérée. Le secrétaire d’état britannique croit aux protestations des ministres italiens, qui désavouent la pensée d’abandonner la Sardaigne ; il admet les dénégations du gouvernement français. Il ne se fait pourtant pas faute de renouveler, même après les déclarations les plus satisfaisantes, ses interrogations soupçonneuses aux gouvernemens de France ^ d’Italie, comme si c’était un procédé usuel et courtois en diplomatie que de faire réitérer une parole d’honneur. Lord John Russell veut bien convenir enfin qu’il serait tranquille, s’il n’avait affaire qu’au gouvernement français ; mais ce qui l’inquiète, c’est l’entraînement possible de l’opinion dans notre pays, c’est la fougue de nos assemblées ! La presse française avec son autorité impérieuse, le corps législatif et le sénat avec la puissante initiative dont ils sont armés, peuvent, un jour ou l’autre, contraindre notre gouvernement à demander poliment la Sardaigne à l’Italie, en prenant, suivant l’usage, le suffrage universel pour arbitre ! Il est difficile de deviner, au ton de lord John Russell, les momens où il parle sérieusement et ceux où il plaisante. Nous voudrions sincèrement, quant à nous, dissiper ses inquiétudes. Le hasard nous en fournit peut-être l’occasion. Apprenant, par le débat de la chambre des communes, l’importance des rades sardes, nous avons jeté les yeux sur une note, d’ailleurs très intéressante, publiée à Turin sur les stations navales du royaume d’Italie. L’auteur de cet opuscule n’est point sans autorité, si l’on en juge par les fonctions qu’il a occupées : c’est M. Salvatore Castiglia, commandant de la marine active du général Garibaldi en 1860. Que pensait sur la Sardaigne le marin garibaldien ? Nous étions curieux de le savoir. Nous n’avons trouvé dans sa brochure que cette phrase laconique et significative : « Il y a en Sardaigne de très bons ports naturels ; mais une station navale y serait peu sûre tant que la Corse ne sera pas rendue à l’Italie {sino a che la Corsica non sia resa all' Italia !). » De quoi s’effraient donc M. Kinglake et lord John Russell ? Il est probable que l’Italie