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convoite la Corse autant que nous la Sardaigne. Quant à M. Pietri, on voit qu’il a là une grosse affaire sur les bras ! Avant de penser à enlever la Sardaigne à l’Italie, qu’il songe d’abord lui-même à rester Français !

On gémit quand on voit la facilité avec laquelle les idées les plus hétéroclites naissent et se propagent de notre temps, et le pouvoir qu’elles ont de distraire les esprits les plus distingués des saines pensées politiques. Le remède à ce mal existe, il est connu, nous ne nous lassons point de l’indiquer : il serait pour la France dans une action plus large donnée à l’opinion publique par la liberté de la presse, dans l’initiative rendue aux assemblées qui représentent le pays. Quelques mots échangés au corps législatif entre un député et un ministre feraient plus aisément et plus complètement que des entretiens diplomatiques tomber les mauvaises défiances et les ridicules soupçons qui ont à plusieurs reprises préoccupé le parlement anglais, y ont provoqué des discussions qui manquent d’objet, et qui ont l’inconvénient d’entretenir une irritation dangereuse pour la paix du monde et funeste aux intérêts bien compris des deux pays. Si l’on pouvait parler de la politique extérieure dans nos assemblées sur un ton de familiarité et de bon sens, et non plus dans les harangues d’apparat qu’autorisent deux fois seulement par session la discussion de l’adresse et celle du budget, les fantômes seraient promptement dissipés. Qui pourrait dans une chambre française demander l’annexion de la Sardaigne à la France ? Quelque orateur excentrique, peut-être, réfuté et désavoué sur le coup par la moqueuse hilarité de l’assemblée tout entière. Après de telles manifestations, des séances comme celle de la chambre des communes qui nous inspire ces réflexions seraient impossibles. À moins de vouloir se couvrir, aux yeux du monde, d’un caractère indélébile d’absurdité, des hommes d’esprit comme M. Kinglake, sir Robert Peel et lord John Russell ne viendraient plus mettre le public dans la confidence des mauvais rêves que leur imagination enfante aujourd’hui dans les ténèbres. Les sentimens réciproques des deux peuples deviendraient meilleurs, et peut-être ne tarderaient-ils point à mettre un terme au gaspillage des capitaux qu’ils sacrifient à leurs craintes et à leurs animosités mutuelles dans leurs budgets de la marine et de la guerre.

On a pu remarquer il y a peu de jours, dans la discussion qui s’est engagée aux communes sur le budget de la marine, les regrettables conséquences de l’entraînement aveugle avec lequel la France et l’Angleterre poussent à l’envi leurs armemens maritimes. Si la France a tel nombre de vaisseaux cuirassés, il faut que l’Angleterre en ait un nombre plus grand : tel a été l’argument suprême de tous les orateurs anglais, celui que lord Palmerston en particulier a fait valoir avec son esprit ordinaire, invariablement assaisonné d’une pointe d’aigreur agressive contre la France. Pourquoi, nous aussi, ne raisonnerions nous pas de la même façon et ne multiplierions-nous pas indéfiniment nos vaisseaux cuirassés en prétextant de l’avance que l’Angleterre aurait prise sur nous ? Où aboutirait cette concur-