Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/743

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rence aussi folle que ruineuse? M. Disraeli a fait entendre sur ce point des paroles sensées qui trouveront un écho des deux côtés de la Manche dans tous les esprits raisonnables. M. Disraeli a paru croire qu’il n’était point impossible d’amener les deux gouvernemens à s’entendre pour fixer la proportion des forces maritimes qui leur sont respectivement nécessaires en temps de paix. Établir cette proportion, voilà le problème. Il est clair en effet, si les deux gouvernemens veulent également vivre en paix, qu’en augmentant à l’envi l’un de l’autre leurs forces maritimes, ils ne feront qu’accroître leurs dépenses sans résultat efficace, puisqu’à l’égard l’un de l’autre ils n’auront point changé leur puissance relative. L’état de paix étant supposé, la même proportion pourrait être établie sur un nombre moindre de vaisseaux, et l’on s’épargnerait une consommation de capitaux onéreuse pour les deux pays, inutile pour les fins qu’ils se proposeraient avec une égale sincérité.

L’évidence de ce raisonnement saute aux yeux; mais les nations et les gouvernemens ne peuvent rien aliéner de l’indépendance de leur action politique : ils ne sauraient se lier par des engagemens qui les soumettraient, dans la direction qu’ils donnent à leurs armemens, à un contrôle étranger. Il n’est donc pas possible de résoudre le problème de la juste proportion des forces maritimes de la France et de l’Angleterre en temps de paix par voie d’arrangement diplomatique. N’y a-t-il pas d’autres moyens d’atteindre le même résultat, et faut-il désespérer de voir deux pays raisonnables mettre à profit la paix en réduisant leurs dépenses de guerre? Sans doute l’entente est possible à d’autres conditions : elle dépend surtout de la confiance mutuelle des deux gouvernemens, de la foi réciproque qu’ils auront dans leurs intentions pacifiques; mais, comme on le dit familièrement, la confiance ne se commande point. Entre les gouvernemens et les peuples, elle se fonde sur des garanties positives bien plus que sur des appréciations personnelles. La plus solide de ces garanties positives est celle qui résulte de la forme des gouvernemens. Si nos assemblées avaient une participation plus directe et mieux soutenue à la direction des affaires, si les gouvernemens étrangers pouvaient lire plus facilement dans leurs manifestations les tendances prononcées de l’opinion, la volonté décidée du pays sur les questions qui les préoccupent, il est certain qu’entre la France et l’Angleterre par exemple un doute sérieux ne pourrait subsister longtemps sur les intentions positives des deux peuples à l’égard de la paix. La diplomatie secrète ne suffit point de notre temps à toutes les nécessités de la politique internationale. Il est des questions, et parmi celles-ci il faut ranger la plus importante, la question de confiance, qui se négocient et se résolvent mieux d’assemblée à assemblée par la franchise et la liberté de la discussion qu’au moyen des conférences d’ambassadeurs et des protocoles de chancellerie. C’est un des motifs qui nous font le plus vivement désirer le progrès de nos institutions vers la liberté.