Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/744

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S’il nous vient d’Angleterre de mauvaises paroles, où se reflètent des sentimens fâcheux, c’est pour nous un devoir agréable de constater qu’il nous arrive aussi de ce côté des témoignages d’amitié dignes d’être appréciés par la France. Parmi ces meilleurs symptômes de l’esprit public anglais, il faut signaler la remarquable manifestation à laquelle a donné lieu le dernier banquet du lord-maire. Le magistrat populaire de la Cité de Londres pour la présente année, M. Cubitt, a exercé l’hospitalité avec autant de libéralisme que de magnificence. Dépassant la mesure ordinaire des fêtes traditionnelles données par les lords-maires, il a réuni dans des banquets différens les membres du gouvernement et les chefs de l’opposition. Il vient enfin, dans un récent dîner, de fêter la liberté commerciale en l’honneur des plus éminens organes de cette grande cause, de MM. Cobden et Bright pour l’Angleterre, de M. Michel Chevalier pour la France. Les applaudissemens qui ont accueilli les sages et éloquentes paroles de notre compatriote n’étaient point une simple courtoisie payée au plus actif et au plus efficace champion de la liberté commerciale en France : ils s’adressaient aussi à notre pays, ils étaient un témoignage du désir général qui règne, parmi les classes intelligentes et industrieuses de la société anglaise, de voir se perpétuer l’alliance de la France et de l’Angleterre. L’un des principaux héros de la fête, M. Cobden, est par excellence le représentant chez nos voisins des sentimens favorables à l’union pacifique des deux peuples. Nous sommes convaincus que M. Cobden, en convertissant notre gouvernement au principe de la liberté des échanges et en négociant le traité de commerce, a créé en quelque sorte le lien qui attachera les deux pays à la paix et les empêchera de sacrifier leurs intérêts sérieux à des boutades de mauvaise humeur. Il est difficile d’exagérer le bienfaisant service que M. Cobden a rendu ainsi aux deux nations et à l’humanité. Nous ne mettrons qu’une réserve à l’admiration et à la reconnaissance que nous inspire ce remarquable esprit. M. Cobden, à notre gré, est trop l’homme d’une seule idée. Il s’est dévoué sans doute à une œuvre immense, il a attaché son nom à un magnifique triomphe : profitant des libertés que lui donnait la constitution de son pays, il a poursuivi et obtenu l’abolition du système protecteur relativement au commerce du blé par la liberté d’association, par la liberté de la presse, par la liberté parlementaire; il a eu la douceur de n’avoir d’autre moyen à employer, pour gagner ses concitoyens à ses idées, que l’action juste et féconde de la liberté, la persuasion. Or il semble que M. Cobden voie dans la liberté du commerce une panacée universelle, à laquelle il subordonne trop facilement les libertés politiques dont il a su faire lui-même un si noble usage. Pourvu que l’on satisfasse sa passion pour le free trade, il a trop l’air de faire bon marché de la nature et de la forme des institutions, de professer à l’endroit des libertés politiques une indifférence dédaigneuse. Avec la finesse de son talent et la qualité de son esprit, il aurait dû échapper à ce travers des monomanes vulgaires. Cette faiblesse