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LA QUESTION ROMAINE.

Nous nous souvenons des paroles que Bossuet écrivait au cardinal d’Estrées au temps des disputes de 1682 : « Les tendres oreilles de Rome veulent être ménagées. » Alors pourtant Rome était encore puissante. Malgré le conflit qu’elle engageait avec Louis XIV dans le domaine du temporel, elle pouvait espérer de voir le protestantisme expulsé de France : elle allait assister à la révocation de l’édit de Nantes ; elle avait quelque raison de croire qu’un souverain catholique étoufferait bientôt le protestantisme au cœur de l’Angleterre. Si à cette époque la bienséance et la politique conseillaient pourtant les ménagemens envers la cour romaine, les circonstances actuelles, nous le savons et nous le sentons, circonstances si fâcheuses pour l’antique papauté temporelle, commandent des attentions plus respectueuses, des précautions plus tendres encore, dans le langage que l’on se croit autorisé à lui tenir. Il n’est qu’équitable, suivant nous, d’étendre ces ménagemens aux catholiques français, qui ont si vivement épousé la cause du pouvoir temporel. Nous le pouvons d’autant mieux, qu’il nous est facile de nous rendre compte des sentimens, des intérêts, des griefs particuliers qui ont agi sur les catholiques français, et les ont en quelque sorte conduits au point de vue d’où ils envisagent maintenant la question romaine.

Il est bon en toute controverse, et dans celle-ci plus qu’en aucune autre, d’entrer dans les raisons de ses adversaires. Les opinions en politique sont toujours complexes ; plusieurs causes d’inégale importance concourent à les former : les circonstances diverses en varient le caractère ; les accidens leur impriment des impulsions qui souvent ne correspondent point aux intérêts sur lesquels elles sont fondées ; les passions naturellement excitées s’y mêlent à la raison et lui viennent faire violence. Les esprits de bonne foi ne peuvent ni s’indigner ni s’étonner à la vue de l’alliage qui s’introduit ainsi dans les opinions. C’est par l’analyse de cette diversité d’élémens qui agissent sur la formation et la conduite des opinions qu’on s’explique un des phénomènes les plus singuliers et pourtant les plus fréquens de l’histoire : je veux dire la contradiction qui se manifeste si souvent entre les résultats que les opinions actives produisent et les fins qu’elles s’étaient proposées. La position de l’église et des catholiques de France dans la question romaine doit être ainsi expliquée. »

Tout le monde sait que, depuis la révolution française, l’ultramontanisme a gagné chez nous à peu près l’universalité du clergé et des laïques qui dans nos luttes politiques se sont efforcés de représenter et de défendre les intérêts de l’église. L’ultramontanisme du clergé et du parti catholique français a souvent excité la surprise des clergés étrangers et même des églises italiennes. Cet entraîne-