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LA QUESTION ROMAINE.

ligieuse et de ce qui est leur véritable liberté de conscience, les catholiques français ont été logiquement conduits à attacher une importance singulière au pouvoir temporel de la papauté. Dans la sphère des choses humaines, la forme suprême de l’indépendance est la souveraineté. Le pape, chef de l’église catholique, étant en même temps souverain temporel, possédait aux yeux des catholiques cette garantie formelle de l’indépendance humaine. L’autorité que les catholiques reconnaissent dans le pape et l’indépendance religieuse que cette autorité suppose sont, il est vrai, placées par eux bien au-dessus des fragiles conditions auxquelles s’attache l’indépendance humaine. C’est en effet une autorité surhumaine que les catholiques reconnaissent dans le souverain pontife ; d’après la croyance catholique, ce sont des promesses divines qui assurent l’autorité et par conséquent la liberté pontificales. Et qu’est-ce auprès de telles promesses que la condition essentiellement contingente de ces expédions variables qui s’appellent en ce monde des souverainetés ? Cependant la souveraineté temporelle du pape était un fait. Ce fait, quelque contestable qu’en fût l’importance réelle, était aux yeux des catholiques un surcroît de garantie humaine ajouté aux garanties surhumaines d’indépendance qu’ils attribuent à la papauté. Ce n’était pas d’eux évidemment qu’il fallait attendre la suppression spontanée de ce fait ; ce n’étaient pas eux qui pouvaient en contester la légitimité. L’émotion dont ils ont été saisis en le voyant mis en péril était au contraire naturelle.

Il faut faire encore la part des causes immédiates de l’ébranlement de la papauté temporelle, des circonstances au milieu desquelles cet ébranlement s’est opéré, et des dispositions dans lesquelles ces causes et ces circonstances sont venues surprendre les catholiques français. Nous entrons ici sur le terrain politique. Les événemens qui, depuis 1859, ont changé la face de l’Italie ont été pour les catholiques de France une surprise, c’est le mot, un vrai coup de tonnerre dans un ciel serein. Ce serait, on en conviendra, exiger l’impossible de la nature humaine que de vouloir que les catholiques français eussent jugé les questions soulevées par la guerre de 1859 avec une impartialité philosophique, en se plaçant exclusivement au point de vue des besoins, des intérêts et des vœux de l’Italie, et qu’avec un désintéressement angélique ils eussent condamné ce qu’ils étaient habitués à regarder comme leur cause même. Il ne faut pas attendre de tels miracles d’abnégation de la part des corps ou des hommes réunis en partis pour la défense d’une cause. Il ne faut pas leur demander avec sévérité la prévoyance et les condescendances que la prévoyance inspire. La prévoyance en politique est le don de quelques personnes ; les corps, les partis,