Page:Revue des Deux Mondes - 1861 - tome 34.djvu/776

La bibliothèque libre.
Aller à la navigation Aller à la recherche
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
774
REVUE DES DEUX MONDES.

les masses, ne l’ont jamais. Leur obstination se justifie même par des motifs respectables. Les associations d’idées et d’intérêts qui forment les opinions collectives entrelacent les âmes par mille liens enchantés ; couper soi-même ces racines invisibles où l’on a puisé la vie morale est un suicide qui surpasse la force ordinaire de l’homme. Les associations militantes, religieuses ou politiques, ne se laissent dompter que par la nécessité, lorsque la nécessité s’impose à elles avec l’inexorable puissance du fait consommé. Ainsi au commencement des révolutions d’Italie les catholiques de France, à peu d’exceptions près, ne pouvaient guère les apprécier que du point de vue auquel l’église de France s’était accoutumée à juger ses propres intérêts.

Ce point de vue fondamental, devenu, pour les motifs que nous avons dits, ultramontain, était naturellement le maintien du pouvoir temporel du pape ; mais l’opinion des catholiques français sur l’importance du pouvoir temporel a été aigrie, exaspérée, pourrait-on dire, par des circonstances particulières. Ces circonstances sont les promesses que le clergé français avait reçues au commencement de la guerre de 1859, et la position que la masse du parti clérical avait prise dans notre politique intérieure avant cette époque. Les déclarations du gouvernement français au début de la campagne avaient donné à croire aux catholiques que le pouvoir temporel du saint-père n’aurait rien à souffrir de cette guerre. La suite a prouvé que dans cette révolution les événemens ont été ou plus francs ou plus forts que les hommes, et la déception dont ils sont victimes a redoublé l’irritation des catholiques contre les hommes et contre les événemens. La masse du parti clérical se plaint d’une déception d’une autre sorte, et pour celle-là c’est lui-même, à notre avis, qu’il devrait surtout accuser. Cette méprise, douloureusement ressentie par le parti clérical français, provient en effet de l’illusion qu’il avait nourrie sur sa position vis-à-vis du pouvoir. Nous pensons avoir le droit de le dire au parti catholique sans l’offenser : sa conduite politique en France a été de notre temps bien pauvrement inspirée. Nous avons vu l’ultramontanisme aller en politique aux plus contraires excès. Il y a eu une époque, qui n’est point éloignée de nous de la mesure d’une vie d’homme, où l’on tentait d’appuyer l’autel sur le trône. Dans la première phase de son ultramontanisme, qui a laissé au sein du clergé des traces si profondes, M. de Lamennais prêchait l’absolutisme théocratique. Dans la seconde phase de sa carrière, cet orageux esprit invoqua la liberté illimitée et s’emporta jusqu’à l’extrême démocratie. Ce brusque revirement, promptement désavoué par Rome, n’eut point la même force de prosélytisme que le premier ultramontanisme lamennaisien.