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LA QUESTION ROMAINE.

récriminations subsidiaires analogues à celles dont nous demandons le sacrifice. Il nous suffit d’avoir montré les effets généraux de la souveraineté politique de la papauté, tels que l’histoire les révèle et qu’ils apparaissent dans le présent. L’alliage que les nécessités de la souveraineté politique des papes introduisent dans la vie, l’organisation et le gouvernement de l’église, n’est point d’une nature telle que les catholiques, en s’élevant au-dessus des passions et des malentendus de l’heure présente, doivent le regarder comme inhérent à l’essence du catholicisme ou conforme à ses intérêts. Voilà notre conclusion, et nous pensons avoir le droit de l’exprimer sans encourir de la part des plus orthodoxes un reproche de témérité, une accusation d’injustice. Il nous reste, pour arriver à l’esquisse d’une solution de la question romaine, à examiner de plus près l’état présent des choses en Italie. Les catholiques convaincus refuseront-ils de nous accompagner dans cette recherche ? En discutant une question politique qui ne touche à la sphère religieuse que par la superficie, auraient-ils peur de se laisser égarer par le leurre des utopies ? Les esprits auxquels nous faisons allusion sont peut-être à leur façon plus utopistes qu’ils ne pensent ; nous ne les en blâmons pas. Dégoûtés d’un présent qui a si peu de quoi satisfaire les âmes délicates et les grands cœurs, ils s’y dérobent et l’oublient en de pieuses évocations du passé. N’est-on pas frappé des œuvres auxquelles ce sentiment a donné naissance de nos jours parmi les apologistes les plus distingués du catholicisme ? Que font-ils, ces ardens catholiques, fuyant un présent dont les réalités leur répugnent, lorsqu’ils vont fouiller avec une sollicitude rêveuse les ruines du christianisme le plus lointain ? Les formules extérieures qu’ils en rapportent, les reliques qu’ils ressuscitent et qu’ils raniment d’une vie éphémère par leur vénération, leur amour et leur talent, — comparées aux choses présentes auxquelles elles ont cessé d’être applicables, — ne sont-elles point de véritables utopies rétrospectives ? Il y a un tour d’esprit chimérique à contempler sans cesse un passé pour toujours évanoui. Chimère pour chimère, nous préférerions, nous, les utopies qui regardent l’avenir en face : celles-ci du moins ont la chance d’être fécondes. Pourquoi les âmes religieuses en seraient-elles effrayées ? pourquoi s’interdiraient-elles d’interroger l’avenir en consultant avec vigilance les vœux et les nécessités du présent ? Les grands pressentimens des transformations futures ont toujours été un des plus nobles dons de l’esprit religieux : toujours la foi a inspiré des prophètes.

E. Forcade.