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Les contemporains sont unanimes sur l’effet manqué du champ de mai. On l’avait remis au 1er juin. Le mot lui-même, emprunté h. la vieille France, cette fausse imitation d’une assemblée franke, le costume féodal, le manteau du moyen âge qui cachait l’empereur, étaient en désaccord complet avec l’état des esprits et des choses ; il n’y avait là de saisissant que les régimens de la garde qui allaient mourir. Le serment prêté par Napoléon aux constitutions de l’empire parut un serment à l’ancien despotisme ; il n’était pas besoin des Évangiles pour attester que le maître se resterait fidèle à lui-même. Napoléon, fatigué de l’attirail byzantin dont il s’était enveloppé, rejeta brusquement le manteau impérial. Il s’approcha du bord de l’estrade et montra le soldat. Les troupes le reconnurent, elles le saluèrent de leurs acclamations au milieu d’un grand bruit de fer. Ce changement de scène rendit à tous les assistans le sentiment de la situation. Les voiles tombèrent ; la vérité apparut menaçante et terrible, après les illusions du prince et des sujets.

Pendant que la défiance se montrait ainsi déjà en France dans une partie du peuple, la haine des rois, des chefs des gouvernemens étrangers, n’avait pas attendu un instant pour éclater ; leurs peuples étaient aussi impatiens qu’eux-mêmes de renverser celui qui venait de reparaître sur le pavois. On ne prenait plus la peine de déguiser l’agression sous l’apparence du rétablissement de la liberté. Ces mots avaient perdu leur puissance depuis que les victoires et les promesses de 1814 n’avaient servi qu’à appesantir partout le joug sur ceux qu’on s’était vanté de délivrer ; mais, quoique abusés, les peuples ne croyaient pas encore l’être, et même ils ne l’étaient qu’à demi, car ils étaient poussés par le même ressentiment que leurs chefs, par la même ambition de représailles, et pourvu que cette ambition fût satisfaite, ils ne demandaient rien de plus, tant le désir de vengeance est aveugle.

Ainsi une même passion réunissait les rois et les peuples ; elle faisait oublier toutes les causes de dissentiment entre eux. La même incrédulité que Napoléon trouvait chez une partie des Français, il la trouvait auprès des étrangers. Les uns ne pouvaient croire que le despote fût devenu soudainement un homme de liberté, les autres que le conquérant du monde en fût devenu le pacificateur. Les rois le revoyaient déjà chercher une revanche dans leurs capitales ; d’ailleurs fût-il sincère dans ses déclarations de paix, pouvaient-ils pardonner leurs longues humiliations, leurs craintes, leurs exils, leurs royautés errantes, renoncer à en tirer vengeance ? On n’était séparé de Leipzig et de l’occupation de Paris que par quelques mois ! Se laisserait-on enlever par surprise la sécurité, la gloire inespérée conquise l’année précédente ? L’ébranlement d’un million d’hommes, la terre entière soulevée de ses fondemens, l’invasion de la France,