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quatre… Ce pouvait encore être un enfant qu’on savait à l’agonie… Cinq,… six,… sept… Non, ce n’était pas lui ; à peine achevait-il sa sixième année… Huit,… neuf,… dix,… et ainsi de suite jusqu’à ce que dix-huit coups eussent tinté. — Elsie est morte ! répétèrent alors cent et cent voix dans la petite cité, douloureusement émue.

Dudley Venner priait, demandant à Dieu de lui pardonner s’il avait failli, en quoi que ce fût, à ses devoirs envers cette enfant infortunée, pour qui l’heure de la délivrance était enfin venue. Il le remerciait en même temps de leur avoir ménagé, à elle et à lui, dans ces derniers jours d’une existence vouée au malheur, quelques épanchemens, quelques effusions de cœur jusque-là refusés à leur affection mutuelle.

Helen le regardait prier, saisie d’une pitié profonde pour cette existence désormais condamnée à la tristesse, à l’isolement.

Sophy restait, de jour et de nuit, assise auprès de la morte qu’elle seule avait bien aimée. Sa douleur s’exprimait de temps à autre par un gémissement prolongé, qui devenait une sorte de chant funèbre pareil à ceux des montagnards africains, lorsque vaincus, du haut de leurs retraites inaccessibles, ils assistent à l’incendie de leurs villages et voient emmener leurs femmes, leurs enfans, désormais esclaves. Cette plainte sauvage, Sophy l’avait sans doute apprise de sa mère, la fille du grand chef cannibale.

Tant de personnes demandèrent à voir Elsie une fois encore, que son père ne crut pas pouvoir se refuser à cette marque apparente de sympathie, mélangée sans nul doute de quelque curiosité. La jeune morte, grâce aux soins d’Helen, sembla belle encore à ceux qui l’avaient pourtant connue dans tout son éclat. On n’avait eu à déguiser par aucun artifice pieux aucun de ces douloureux vestiges que la crise suprême laisse parfois après elle. Pour lui mieux donner l’aspect d’une personne endormie, on avait laissé à découvert le cou rond et mince de la jeune fille ; mais la torque d’or ne lui était pas encore enlevée, et quelques regards curieux cherchèrent en vain la trace de cette marque de naissance qui, murmurait-on, l’avait obligée toute sa vie à porter un collier.

Ce fut seulement au dernier instant de la dernière heure que la vieille Sophy, penchée sur « son enfant, » détacha d’une main tremblante l’étincelant cordon. Son regard attentif demeura fixé quelques secondes sur la place qu’il avait occupée. Aucune, trace, aucune marque, rien qui rappelât le signe fatal. — Dieu soit loué !… s’écria la bonne négresse,… il l’a rendue digne d’aller rejoindre ses anges.

Et doucement elle plaça la torque gauloise dans la cassette où devait être enfermé à jamais ce que Dudley appelait « les reliques » de sa fille.