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III.

Les Ricordi de Guichardin ne sont pas un travail entièrement inédit. En 1576, Jacques Corbinelli en traduisit cent cinquante environ sous les auspices de la reine-mère Catherine de Médicis, zelatrice solennissima di cosi spirituale esercitio, et il intitula son livre : Plusieurs conseils et avertissemens de M. Guichardin, gentilhomme de Florence, en matière d’affaires publiques et privées... Un chevalier de Lescale en donna encore un certain nombre en 1634 dans un petit volume publié à Paris, et qu’il désigna ainsi : l’Art de manier sagement les grandes affaires et de se maintenir auprès des princes. En effet, l’ouvrage de Guichardin ne pouvait manquer de plaire dans un temps où la littérature et les mœurs italiennes étaient de mode parmi nous, quand sa grande Histoire, publiée en 1561, était partout admirée, quand dominaient enfin dans la société française à la fois le goût sentencieux des maximes républicaines et l’esprit de cour; mais, bien qu’il y eût réellement dans les écrits de Guichardin de quoi satisfaire ces différentes humeurs, les éditeurs y faisaient leur choix et traduisaient suivant leurs convenances, de telle sorte que l’original disparaissait presque entièrement sous un travestissement étranger. M. Canestrini nous donne, d’après les manuscrits autographes, plusieurs centaines de ricordi, et il a eu sous les yeux, entre autres documens, un manuscrit de 1528 en tête duquel l’auteur a écrit qu’ayant pu profiter pendant cette année même, après la nouvelle expulsion des Médicis, d’un repos profond, qui ne devait pas durer, il avait fait une révision complète de tous les ricordi rédigés pendant les années précédentes. M. Canestrini a trouvé encore d’autres ricordi épars çà et là dans les papiers de Guichardin, sur des feuilles séparées, en marge de ses manuscrits ou même de ses livres; évidemment c’est un genre de composition qu’il a continué pendant toute sa vie, surtout depuis 1512, époque de son voyage en Espagne. Ce n’est pas l’œuvre factice d’un bel esprit oisif: c’est le résultat des continuelles réflexions d’un homme mêlé aux grandes affaires, d’un observateur spirituel et fin, préoccupé de la signification des événemens politiques, avide d’apprendre comment on peut attirer et fixer la fortune, comment on achète le succès ici-bas ou par quels chemins on s’en éloigne à jamais. C’est un livre de méditation et de morale pratique, où nous verrons aux prises l’action et la pensée, l’homme de l’expérience et le moraliste.

Une preuve que ces ricordi ont été écrits pour la plupart au mi-