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Il s’abattit, leva ses naseaux tout sanglans
Et s’affaissa, vaincu, sur ses jarrets tremblans.
Je tombai sur son corps, brisé de lassitude ;
J’étais seul, j’avais froid au cœur ; la bise rude
Promenait sous mes yeux des apparitions ;
Mon esprit seul vivait, en proie aux visions.

Novembre, le mois noir, souverain des ténèbres,
Entassait sous les cieux ses épaisseurs funèbres.
Les démons acharnés qui hurlent dans le vent
Secouaient des hauts pins le panache mouvant :
Il neigeait sur les monts, il neigeait ; l’avalanche
Menaçait les rochers de sa crinière blanche ;
Les loups et les chacals, ces affamés rôdeurs,
Effrayaient les vallons de sauvages clameurs.
La lamentable nuit, sans lune et sans étoiles,
Écrasait l’univers sous le poids de ses voiles ;
L’air était déchiré du cri sec des corbeaux,
Qui flairaient la chair morte et l’odeur des tombeaux ;
L’hiver triomphait seul à l’horizon sans borne,
Et l’heure gémissait dans le fond du ciel morne,
Comme un appel plaintif au jugement dernier.

On entendait au loin le bruit d’un cavalier.

Le Caucase, où seul l’aigle ose essayer son aile,
Couronné des splendeurs de sa neige éternelle,
Au nord dresse son front de géant ; au midi
S’égare dans la nue un monument hardi,
Clos encor de ses tours, granitique ceinture,
Où le lierre se tord en anneaux de verdure.
C’est un couvent désert, des Persans dévasté,
Lieu redoutable à l’homme et des esprits hanté.
Chaque pierre qui tombe a gardé la mémoire
D’un martyre chrétien, d’une lugubre histoire.
Au pied du pic altier, le Koura bruissant
Semble rouler des rocs ou des vagues de sang,
Comme si le passé, chanté par son flot rude,
S’était réfugie dans cette solitude !
Reine et veuve, Khèta, cité de trois mille ans,
Cache sa pauvreté sous ses longs voiles blancs.
Là, dans les claires nuits, l’antique cathédrale
Allonge sur le sol son ombre sépulcrale ;