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Là dort votre poussière, ô rois géorgiens !
On sent flotter dans l’air des souvenirs anciens,
Un passé tout vivant encore, où les légendes
Ont gravé sur l’or fin les fleurs de leurs guirlandes.
Une fois l’an, les morts, par cette nuit de deuil,
Pour l’expiation se lèvent du cercueil :
Au temps du Christ, dit-on, la place fut choisie
Pour les crimes d’Europe et les crimes d’Asie.
Victimes et bourreaux, les esclaves, les rois,
Cadavres dans la tombe, âmes devant la croix,
N’ont jamais fui, Seigneur, ta divine justice.
L’heure venue, il faut que ta loi s’accomplisse ;
Mais, ô fils de Japhet, et toi, race de Sem,
Un souffle de pardon vient de Jérusalem.

Se souvient-il du Christ, ce vieux cloître en ruine ?
Où sont les moines grecs qui frappaient leur poitrine ?
Où sont les chants sacrés qui de l’aurore au soir
Se mêlaient aux parfums du mystique encensoir ?
L’Évangile est fermé pour jamais, et la lampe
Ne dore plus l’autel où la vipère rampe.
Des troncs amoncelés, des sapins foudroyés,
Des chênes de cent ans par l’ouragan broyés,
Sont gisans pêle-mêle autour du couvent sombre.

Les pas du cavalier se rapprochaient dans l’ombre.

Minuit, l’heure funèbre, à des clochers lointains
Rhythma son épouvante et ses bruits incertains,
Et les sons affaiblis de distance en distance
Des sonores ravins troublèrent le silence.
Une femme, hôte obscur de ce sinistre lieu,
Portant entre ses mains un brasier tout en feu,
Sortit du monastère et rassembla des branches
Que le givre étoilait de ses paillettes blanches.
Cette femme, ou plutôt ce fantôme, semblait
Avoir vécu trois fois, et tout son corps tremblait ;
Des guenilles moulaient sa maigreur de squelette ;
Son chef était branlant ; sa bouche violette
Murmurait de vains mots emportés par les vents.
Par la mort oubliée au milieu des vivans,
La centenaire, ouvrant sa vitreuse prunelle,
Contempla l’incendie allumé devant elle,
Et dit soudain : « C’est lui ! Voici le cavalier ! »

Un orageux galop brûlait l’étroit sentier.