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françaises. Nous avons bien, il est vrai, notre Longchamps et notre mardi-gras, sans compter nos courses de Chantilly et du bois de Boulogne : eh bien ! le Derby est tout cela en même temps, une exhibition de modes, un carnaval et une course de chevaux. Seulement les Anglais appellent nos courses de Chantilly des courses à la Watteau, et il faut bien admettre qu’il y a entre elles et le Derby la différence d’une fête champêtre de Watteau à la fameuse kermesse de Rubens. Puis, et c’est ici surtout que peut se reconnaître le caractère pratique des Anglais, une grande affaire se joint ce jour-là, chez nos voisins, à l’attrait du plaisir. Sous la fête de Longchamps il n’y a qu’une frivolité, sous le mardi-gras il y a une folie, tandis que sous le Derby il y a une idée sérieuse, — le perfectionnement de la race chevaline, que les Anglais considèrent comme la couronne du règne animal.

Je me suis étendu sur la description du Derby race, parce que, à plus d’un point de vue, cette course résume toutes les autres ; il y a pourtant un grand nombre de meetings célèbres dont il me faut indiquer en quelques traits le caractère. La même semaine a lieu à Epsom la fête des oaks (chênes), ainsi appelée du nom d’un domaine que possédait sur les lieux le comte de Derby. Ce jour est le jour des dames. Le grand prix se trouve disputé par des jumens de trois ans, et avant la course les ladies parient entre elles des douzaines de gants avec une ardeur incroyable. Viennent ensuite Ascot races, c’est le jour de l’aristocratie. Autrefois le souverain régnant se rendait à Ascot en grand cortège, et les femmes de la cour se promenaient, dans l’intervalle des courses, sur le champ clos. Aujourd’hui encore la reine y assiste. Ces courses, qui se célèbrent au milieu d’une société choisie, ont à la fois l’élégance d’un opéra en plein vent, la gaieté d’une foire et l’intérêt d’un sport. Sur une profonde rangée de voitures qui ont toutes les couleurs de l’arc-en-ciel s’étalent des toilettes splendides, des forêts de plumes, des robes de soie qui coûtent 20 ou 30 guinées, et qui se fanent comme une fleur avant la fin de la journée sous la poussière et le soleil. Autrefois l’empereur de Russie donnait un vase d’argent au vainqueur d’une des courses d’Ascot ; mais la politique n’est point étrangère à l’histoire du turf, et, depuis la guerre de Crimée les bons rapports des deux pays s’étant rompus, ce vase a été remplacé par une coupe qui n’a plus rien à faire avec la cour de Saint-Pétersbourg. Cette fête de la fashion est encore célèbre par un autre trait de mœurs : la moitié des jeunes garçons et des jeunes filles de la campagne se marie dans les environs d’Ascot pendant la semaine qui précède le 2 juin de chaque année, et l’une des attentions les plus délicates que le nouveau marié puisse montrer envers sa femme est de la conduire