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où l’on rencontre en même temps deux figures caractéristiques du turf, le trainer et le jockey.


II

Je ne connais point en Angleterre de ville plus triste que Newmarket. Qu’on se figure une grande rue monotone à laquelle se rattachent par hasard quelques ruelles étroites et vagabondes qui vont se perdre on ne sait où dans la campagne. Un côté de cette grande rue, celui du nord, appartient au comté de Suffolk, tandis que le côté du midi se trouve sur le comté de Cambridge. En traversant la ville, je fus pourtant surpris de ne rencontrer nulle part autour de moi cette jeunesse oisive et déguenillée qui afflige les yeux du voyageur dans les endroits sans industrie et sans commerce. La raison du fait me fut expliquée : ici, les enfans, dès l’âge de huit ou dix ans, entrent dans les écuries, où ils trouvent du travail. Newmarket est la ville des chevaux. Il n’y a dans la grande rue qu’un seul souvenir historique, c’est le château en brique bâti par Charles II, et où il se rendait durant la saison des courses[1]. Il n’y a qu’un édifice moderne, c’est la maison où se réunissent les membres du Jockey-Club. Là, ayant été introduit, à onze heures du soir, dans une salle longue, comfortable et bien éclairée au gaz, je rencontrai plusieurs notabilités du turf, le portrait d’un cheval célèbre dont j’ai oublié le nom, et une bibliothèque composée de deux ouvrages très volumineux, le racing Calendar (calendrier des courses), et le general stud Book (livre des haras). Newmarket vit sur les courses de chevaux et sur les diverses industries qui s’y rattachent. On n’y voit guère que des grooms, des jockeys, des dresseurs (trainers) et des sportsmen. Les horse training establishments (établissemens pour instruire les chevaux) s’y montrent plus nombreux et plus florissans que dans toute autre ville de l’Angleterre. Quelques grands seigneurs y entretiennent aussi des écuries considérables, qui sont de véritables palais. Ce qui se consomme de grain par semaine à Newmarket, non pour la nourriture des hommes, mais pour celle des chevaux, est formidable, La réputation et la prospérité de la ville tiennent pourtant, sous ce rapport, à une circonstance fortuite. Des genêts d’Espagne étaient chargés à bord de la fameuse Armada, quand, les vaisseaux de cette flotte ayant fait naufrage, des chevaux se sauvèrent à la nage et abordèrent sur les côtes de Galloway. Quelques-uns d’entre eux furent, dit-on, amenés à New-market,

  1. Cette ancienne résidence royale est maintenant occupée par un traîner (éleveur de chevaux).