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O dieux, soutenez mon courage ! — et le récitatif mesuré dans lequel elle exprime ses angoisses par quelques notes entrecoupées de silences est un cri sublime de la nature. L’air que chante Admète pour rassurer Alceste, dont il voit la tristesse sans en connaître la cause, Bannis la crainte et les alarmes, est beau aussi et plein de sentiment ; mais je lui préfère celui d’Alceste, qui vient après, Je n’ai jamais chéri la vie, d’une expression plus énergique et plus variée. Alceste a été amenée enfin à faire l’aveu à Admète du sacrifice qu’elle s’impose pour conserver le père de ses enfans, et la lutte généreuse qui s’engage alors entre les deux époux est rendue par un dialogue en récitatif d’un effet puissant, mais dont la prolongation fatigue à la fin, et laisse grandement désirer une forme musicale plus développée, dont l’absence se fait vivement sentir. Aucun compositeur moderne n’aurait manqué l’occasion qui s’offre ici d’écrire un morceau passionné et de réunir ces deux voix dans une suprême étreinte. L’air que chante ensuite Admète, — Non, sans loi je ne puis vivre, — ne rachète pas la monotonie qui résulte d’une situation toujours la même, qui n’est point corrigée par la variété des formes musicales. L’air avec chœur que chante Alceste quelques instans après, — Ah ! malgré moi mon faible cœur balance, — quoique admirable en soi, par le sentiment profond qu’exprime la mélodie, qui est ici très accusée, par la puissance du chœur et la beauté de l’accompagnement, contribue cependant à rendre l’effet général du second acte très inférieur au premier.

Le troisième transporte la scène dans un site affreux qui représente l’entrée des enfers. Un double chœur écrit dans une tonalité lugubre :

Pleure, ô patrie !… Alceste va mourir !


expose la situation nouvelle des personnages et prépare les esprits au grand sacrifice. Je passe rapidement sur un air de basse que chante Hercule, morceau pompeux qu’on attribue à Gossec, pour signaler le grand récitatif par lequel Alceste exprime la terreur dont elle est saisie à la vue des lieux funestes où elle doit pénétrer, — Grands dieux, soutenez mon courage ! — Cette magnifique mélopée, d’un caractère à la fois sombre et religieux, où le musicien a peint à grands traits l’agitation croissante de l’âme d’Alceste, est suivie d’un air plein de vigueur, — O divinités implacables ! — Cet air, très court, qui est pour ainsi dire l’épanouissement musical du récit qui le précède, achève de rendre les diverses péripéties du cœur de cette femme héroïque, qui, soutenue par l’amour, plus fort que la mort, brave la colère des dieux. Admète, poursuivi par sa douleur, surprend Alceste dans ces lieux désolés. Il la conjure par ce qu’il y a de plus sacré d’abandonner son idée funeste, et il exprime son désespoir par un air touchant :

Alceste, au nom des dieux,
Sois sensible au sort qui m’accable !