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victoire, et si Waterloo eût été une victoire, c’est Napoléon peut-être qui eût soufflé sur ce rêve d’unité. C’était une aventure folle, si l’on veut, chimérique, d’un succès impossible ; elle est pourtant l’ébauche d’un mouvement prématuré, destiné à grandir, à prétendre par la faute même de ses adversaires, en partant cette fois non du midi, mais du nord, en se personnifiant non dans un roi de la veille, mais dans un prince du plus vieux sang royal ; elle ne montre pas moins ce qu’était cette idée éclatant tout à coup au lendemain de l’empire et allant tenter des hommes comme Rossi, qui sont en réalité le premier noyau du libéralisme italien, et ont été les premiers proscrits pour lui.

Ce qui poussait ces hommes, ce n’était pas l’amour ou le regret de la domination française, comme on les en accusait violemment. Ils avaient souffert plus d’une fois en voyant la France régner en souveraine au-delà des Alpes, déchiqueter les plus belles contrées de la péninsule en départemens, et faire de Rome, l’ancienne maîtresse du monde, de Florence, le brillant foyer du génie italien, de simples préfectures françaises ; mais ils redoutaient bien plus encore l’Autriche, qui était aussi pour eux l’étranger, l’absolutisme, sans la compensation d’un régime civil bienfaisant, et ils avaient cru à la possibilité de faire surgir une Italie nouvelle dans le vide momentané laissé entre deux dominations. Rossi vaincu le disait dans une défense peu connue des hommes de notre temps hors de l’Italie, dans un mémoire qu’il datait de Genthod en Suisse, et où il ne racontait pas seulement cette aventure, où il se peignait déjà tout entier. « SI c’est un crime, disait-il, d’aimer son pays, de désirer qu’il redevienne grand et heureux, je dispense mes accusateurs de chercher des preuves contre moi ; je m’avoue coupable, et je tiendrais pour une injure d’être déclaré innocent. » Rossi, tout jacobin et carbonaro qu’il fût représenté, n’eut jamais rien du révolutionnaire et du factieux ; c’était essentiellement un homme moderne, un libéral sensé et éclairé en même temps qu’un patriote. Le spectacle de la révolution française, l’empire dans ses prospérités, puis dans son déclin, le renouvellement de la péninsule par les principes de 1789, tant d’événemens prodigieux et précipités avaient vivement parlé à son intelligence et développé en lui ce sentiment de la vie moderne, qui peut être en défaut quelquefois, et sans lequel nul désormais n’agira sur son siècle. « J’ai appris de bonne heure, disait-il, à distinguer le libéralisme des idées de la subversion de toute règle de droit et de morale, la liberté civile, qui peut être obtenue sous différentes formes de gouvernement et plus sûrement peut-être dans une bonne monarchie, de la licence qui est trop souvent le cortège des fauteurs de systèmes républicains, l’instruction du peuple des