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prétentions anarchiques et violentes, la superstition de la religion, l’honnête homme enfin et le citoyen éclairé du démagogue… » Une chose curieuse dans ce mémoire du 14 juillet 1815, dans cette apologie d’un vaincu, c’est cette faculté de sarcasme et de dédain, cette verve d’ironie sans illusion qui fut toujours un trait du caractère de Rossi, sans être jamais un signe de découragement dans cette âme à la fois passionnée et désabusée. Il veut bien s’avouer vaincu, et il le fait de bonne grâce ; mais il se relève en même temps avec un mélange de bonne humeur et de fierté méprisante devant ceux qui l’accusent encore dans sa défaite. « Il faut convenir, dit-il, que notre règne a été court, tellement court que tous ceux qui ont été offensés de la vue de notre élévation pourraient nous pardonner l’impertinence que nous avons eue de nous laisser mettre au-dessus d’eux en faveur de la brièveté de l’insulte… Si ceux qui nous jugent, moi et les compagnons de mon infortune, d’après l’issue des événemens, rentraient pour un instant en eux-mêmes, ils conviendraient de bonne foi que, si l’armée napolitaine eût passé le Taro, de fous et de misérables, nous devenions pour eux des hommes assez sages ; si elle eût passé le Pô, nous étions des hommes de quelque valeur ; si elle eût passé l’Adige, nous devenions de grands hommes ; si enfin l’Italie tout entière s’était mise en mouvement et si on eût touché les Alpes, nous étions des héros par ce simple accident que, Bologne étant plus près du Rubicon que de la Dora, nous avions été les premiers magistrats choisis… » Rossi n’était pour le moment ni un héros ni un grand homme, mais un vaincu, et il se réfugiait en Suisse après une courte apparition à Milan, où il se liait avec tous les patriotes du temps, où, se trouvant un soir dans un salon et entendant parler librement devant une voyageuse anglaise qui prenait des notes, il disait à ses amis après le départ de l’étrangère : « Savez-vous ce que vous avez fait ce soir ? Vous avez fait un livre. » Et le livre parut en effet, non sans compromettre quelques-uns de ceux qu’il mettait en scène.

C’était la fin de tout un ordre de choses et le commencement d’une époque nouvelle inaugurée par les traités de 1815 et par les restaurations absolutistes de la péninsule. C’était surtout pour une multitude d’Italiens le commencement de ces émigrations que chaque mouvement, chaque convulsion a grossies jusqu’à ce qu’il y ait eu enfin presque une nation, de bannis. Rossi, un des plus éminens de ces émigrés, acceptait cette dure condition de proscrit en homme fait pour se mesurer avec la mauvaise fortune et capable de se servir de l’exil même pour s’élever, pour revenir plus tard en Italie avec le double ascendant d’un caractère public et d’une renommée universelle. Il avait laissé depuis 1813 de sérieuses amitiés en Suisse ;