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lumineux, voyant tout et montrant avec une netteté merveilleuse comment ce pouvoir s’est perdu lui-même avant d’être menacé de disparaître dans une révolution nationale.

Nul plus que Rossi n’avait senti la gravité de l’élection pontificale de 1846. Il n’y mettait nulle finesse ; il disait simplement et résolument partout que la France n’avait point de choix à dicter, que c’était avant tout une question pour l’église, dont les intérêts temporels et peut-être les intérêts spirituels eux-mêmes étaient engagés ; il cherchait à répandre cette conviction que l’occasion était unique, qu’on pouvait tout sauver ou tout perdre. Et dès ses premiers entretiens avec Pie IX, comme le nouveau pape, plein d’ailleurs d’intentions généreuses et élu par une sorte d’inspiration, lui disait que tout irait bien, mais qu’il fallait un peu de temps pour voir, pour examiner, il répondait aussitôt : « Rien de plus naturel et de plus juste. Loin de s’en plaindre, on doit y voir une garantie. Votre sainteté d’ailleurs sait mieux que personne ce que vaut en politique l’opportunité, et si j’osais émettre cette idée en présence du saint-père, j’ajouterais que lorsque certains faits sont réellement généraux, permanens et sans tendances immorales, il faut bien y reconnaître un décret de la Providence. — Oui, elle les veut, ou du moins elle les permet, » disait le pape avec un gracieux sourire. C’était la même pensée ; seulement le pape et l’ambassadeur entendaient-ils de même et en tiraient-ils les mêmes conséquences pour l’avenir comme pour le présent ? Avaient-ils un sentiment également vif, également net, de l’irrésistible puissance des choses ? L’un comprenait qu’il fallait se hâter de mettre la main à l’œuvre, que tous les instans étaient précieux dans une situation où tout était à faire ; l’autre avait la bonne volonté sans se rendre bien compte de ce qu’on attendait de lui. C’est alors que commençait ce prodigieux malentendu, voilé d’acclamations et de fêtes, mais profond, plein de dramatiques péripéties, entre un peuple qui voulait absolument son pape réformateur et national et un pape qui, au lieu de diriger le mouvement, se laissait entraîner par lui. En quelques mois, tout avait changé par ce seul fait d’une pensée indécise et molle s’abandonnant au centre d’un mouvement qui grandissait chaque jour, qui se compliquait en se prolongeant. Rossi se faisait de cette situation, de ses incertitudes et de ses périls, une idée dont l’expression éclaire tout, jusqu’aux événemens actuels.


« 28 juillet 1847.

« Je ne me charge pas, écrivait-il, de décider si le pape se rendit bien compte de toutes les conséquences de ce magnifique exorde de son