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plus considérables. L’intendant de la province faisait remarquer en 1699 qu’avant 1685 il abordait à Rouen beaucoup d’étrangers, surtout de Hollandais, qu’ils y formaient des établissemens, au grand avantage du commerce local, mais que presque tous s’étaient retirés, se voyant privés de l’usage de leur religion. Tout n’était pourtant pas perdu, car dans ce même mémoire l’intendant signalait une maison Legendre dont la fortune était de 4 à 5 millions, ce qui en vaudrait au moins 12 d’aujourd’hui, et dont les correspondances s’étendaient dans tous les lieux du globe où il y avait intérêt d’en avoir. Il n’est pas très sûr qu’aujourd’hui cette seconde condition soit remplie à Rouen par beaucoup de maisons.

Rapprochons-nous du temps présent : son inventaire comprend tout ce qui méritait d’être conservé dans l’héritage du passé.

En 1840, M. Cousin, s’appropriant pendant son court ministère une pensée qu’il a prêtée à Colbert, transférait de Rouen à Caen la faculté de théologie, dont les leçons étaient peu courues dans une ville de marchands ; il la remplaçait par des cours de dessin linéaire, de géométrie appliquée, d’histoire naturelle, de chimie, et donnait à une industrie et à une agriculture pleines de vie les guides dont elles ont le plus besoin. La déposition de ce germe d’une réforme dont le développement complet serait si fécond prouve que la philosophie a du bon toutes les fois qu’elle n’est pas gâtée par les philosophes.

Le fait le plus considérable pour la ville de Rouen qui se soit réalisé depuis plusieurs siècles est l’endiguement de la Seine sur lequel nous reviendrons plus loin. Les conséquences de ce fait se résument dans un chiffre : les transports par eau, qui, du Havre à Rouen, revenaient à 12 francs par tonne, n’en coûtent plus que 6 ou 7. Qui ne croirait que le résultat d’un tel abaissement de prix a été un notable accroissement de circulation ? Il n’en a rien été. Le mouvement des années 1846 et 1847, qui ont précédé les travaux, a été à Rouen de 801,451 et de 723,966 tonneaux ; celui des années 1858 et 1859, qui en ont profité, s’est réduit à 603,933 tonneaux et à 564,862. Ce n’est pas que dans cette période le commerce maritime se soit en général affaibli. Au Havre, le tonnage des mêmes années a été pour les premières de 1,496,394 et de 1,674,921 tonneaux, pour les secondes de 2,081,355 et de 1,871,597. Tandis que Rouen descendait dans l’échelle de 100 degrés à 77, Le Havre montait de 100 à 124. Il ne faut ni exagérer ni amoindrir les conséquences de pareils faits. Le cabotage est l’élément de circulation qui s’est le plus réduit à Rouen ; la raison en est simple : les chemins de fer se sont progressivement emparés d’une partie des marchandises qui alimentaient cette navigation, et, pour ne citer qu’un exemple, le bassin de la Seine tire de