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concitoyens, de nos frères ; nous accourons à la voix de la patrie, qui nous presse d’établir entre les ordres la concorde et l’harmonie d’où dépend le succès des états-généraux. Puisse cette demande être accueillie par tous les ordres avec le même sentiment qui nous la commande ! Puisse-t-elle être généralement imitée ! » Le procès-verbal de la séance ajoute que la salle retentit d’applaudissemens ; chacun se pressait auprès des curés, on les embrassait, Le lendemain plusieurs ecclésiastiques, ayant encore à leur tête un curé du Poitou, se rendirent à l’assemblée du tiers-état et y furent reçus avec le même enthousiasme.

L’évêque de Poitiers, M. de Sainte-Aulaire, qui avait montré tant de zèle comme président de l’assemblée provinciale, conserva la même attitude aux états généraux jusqu’au moment où la constitution civile du clergé vint lui imposer d’autres devoirs. Dans la séance du 4 janvier 1791, quand les évêques qui appartenaient à l’assemblée furent appelés à prêter serment ou à quitter leurs sièges, il prit la parole au nom de ses collègues. « J’ai soixante-dix ans, dit-il, et j’en ai passé trente-cinq dans l’épiscopat, où j’ai fait tout le bien qui était en mon pouvoir. Accablé d’années et d’infirmités, je ne veux pas déshonorer ma vieillesse, je ne veux pas prêter un serment qui… » Il ne put achever, le tumulte couvrit sa voix. Déclaré déchu et remplacé dans son évêché, il partit pour l’émigration, où il mourut pauvre, mais fidèle à sa conscience. Ainsi firent tous les évêques de France, à l’exception de quatre.

Un document émané, dans les derniers mois de 1789, de la commission intermédiaire du Poitou, montre qu’on n’en était déjà plus alors aux premiers transports de joie et d’espérance. L’assemblée nationale ayant rendu, le 26 septembre, un décret pour assurer la perception des impôts, la commission dut le transmettre aux bureaux d’élection ; mais elle le fit en des termes qui témoignent d’un extrême découragement. « Le ministre nous recommande de faire usage de toute l’influence qu’il se persuade que doit nous donner notre position pour parvenir au rétablissement des droits et impositions ; mais quand tous les pouvoirs sont confondus, anéantis, quand la force publique est nulle, quand tous les liens sont rompus, quand tout individu se croit affranchi de toute espèce de devoirs, quand l’autorité n’ose plus se montrer et que c’est un crime d’en avoir été revêtu, quel effet peut-on attendre de nos efforts pour rétablir l’ordre ? Comme les états ne sont riches que des dons des sujets, les états seront sans force pour soutenir la puissance publique, qui seule peut les protéger et les défendre, si les sujets refusent les dons qui lui communiquent le mouvement et l’action. » Les événemens devaient dépasser encore ces tristes pressentimens.