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comble ; la terre tremble, et la communauté se disperse de toutes parts, les uns acclamant le vengeur, les autres criant anathème et miséricorde. La scène reste vide, et dans l’Éloïm ainsi délaissé des chrétiens apparaît Masinissa au milieu des esprits infernaux qui chantent victoire. Ici, et pour cette seule fois, le genre du mal semble sortir du cadre que lui a ingénieusement tracé le poète : pour cette seule fois, il prend les proportions démesurées du Satan chrétien et trahit la haine immense de Lucifer ; mais aussi le spectacle qu’il vient de voir était bien fait pour gonfler son orgueil. Il a vu la première scission survenir dans cette communauté chrétienne fondée sur la paix, l’union et l’amour, et cette scission lui apparaît comme le présage de tous les schismes futurs, des persécutions au nom de la foi et des guerres religieuses qui déchireront dans les siècles à venir l’humanité, que le Christ a voulu racheter. Son âme se dilate à cette espérance, et il jette le défi au Christ, à l’ennemi :


« Ennemi ! tu sais que l’esprit des hommes s’est égaré depuis le premier printemps du monde. Dorénavant il ne se passera pas de jour où, disputant de ta nature et de ta substance, ils n’éveillent de stériles querelles !

« En ton nom, ils vont se lever et détruire, massacrer et brûler, ; en ton nom, ils vont, extatiques abrutis, s’enfermer, se taire et pourrir.

« Et ils te crucifieront sans cesse ; dans leur sagesse comme dans leur ignorance, dans leur raison comme dans leur folie, dans les prières de leur sommeillante humilité comme dans le blasphème de leur orgueil !

« Au sommet de ton ciel, tu videras, toi, la coupe d’amertume jusqu’à ce que tu les maudisses à leur tour !

« Au sommet de ton ciel, au milieu de ta toute-puissance et de ta gloire, tu sauras enfin la douleur, tu sauras ce que c’est que notre enfer ! »


Le dénoûment approche, et Iridion redouble d’activité. Envoyé par le césar pour traiter avec les troupes révoltées qui sont en marche sur la ville et auxquelles est venu se joindre Severus, il les irrite à dessein et rend tout accommodement impossible. Revenu à Rome, il dispose les prétoriens pour les mener au combat contre les envahisseurs, et en même temps il apprête les esclaves, les gladiateurs, les barbares, pour qu’ils tombent sur les deux partis, massacrent et incendient la ville dès qu’ils l’auront vu apparaître à la tête des chrétiens. Il retourne encore chez Héliogabale pour lui arracher le dernier signe du pouvoir, l’anneau impérial où se trouve gravé le génie de Rome. Possesseur de ce talisman, il ne songe plus au fils de Caracalla ; mais un autre a pensé à l’enfant couronné :

« ELSISNOE » — Et lui, que deviendra-t-il ?

« IRIDION. — Que m’importe sa vie ou sa mort ? Ce qu’il a été (montrant la bague), le voici dans ma main ; ce qui reste de lui ne vaut pas une pensée de moi.