Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/656

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mer, le long du Tage. Nous y abordons à six heures du soir. Vue du yacht, cette grande cité n’a rien de pittoresque que le petit fort de Belem, à l’entrée du port. C’est un joli joujou d’architecture qui ne supporterait pas deux coups de canon. Nous voyons un assez bon nombre de navires dans la rade ; la corvette portugaise qui la commande salue de vingt et un coups de canon le Jérôme-Napoléon. Le prince reçoit la visite de l’infant dom Luis, duc d’Oporto, frère du roi de Portugal. Le brouillard s’étend sur le fleuve, et il pleut.

5 juillet. — Je commence la journée par t’écrire, ma chère mère ; c’est aujourd’hui ton anniversaire, et je ne suis pas là pour t’embrasser. Au lieu de te faire un bouquet, je mets une lettre à la poste, et je me fais aussi beau que le permet mon bagage de voyageur pour suivre le prince à la cour du roi de Portugal. Les voitures de la cour nous attendent à l’arsenal sur la rive du Tage, et nous roulons dans de grandes rues tristes et dépeuplées. Le roi dom Pedro V attendait le prince au bas de l’escalier du palais. C’est un jeune Cobourg, blond, d’une figure douce et mélancolique, timide ou réservé de manières. Sa sœur est une très belle personne, blonde aussi, sérieuse aussi. Peut-être s’ennuient-ils mortellement sur les bords du Tage, ces princes allemands transplantés ! Je sais que, pour mon compte, tant qu’à être roI j’aimerais mieux l’être ailleurs. Un grand pays ouvert, de grandes rues, de grandes places sans aucun cachet, des maisons carrées, régulières, rien d’espagnol, pas de balcons, pas de double entrée ; des trottoirs, une vaste promenade déserte, d’assez belles boutiques fermées à neuf heures du soir.

6 juillet. — J’ai pu sortir seul et parcourir la ville. La rua Aurea, la rua Augusta sont vastes, le jardin del Paço bien planté ; mais je n’aimerais pas à demeurer ici, même en peinture. Cette ville, bouleversée par le fameux tremblement de terre du siècle dernier, est sans souvenirs, et semble ne s’être pas consolée encore de son désastre, ou n’avoir pas osé se repeupler. Je pousse une pointe dans la campagne. Je sors à grand’peine des chemins bordés de murailles, j’arrive à des champs moissonnés, à des collines très basses, plantées de rares oliviers ; pas de vue, pas de plantes, pas d’insectes. Je m’en retourne à bord, où le roi attend, depuis une heure et demie, le prince, qui est à la promenade. Le jeune monarque est seul dans le salon du rouf. Si c’était un simple particulier, c’est à qui de nous irait lui tenir compagnie avec plaisir, car sa figure est sympathique, et c’est un prince progressiste ; mais l’étiquette nous le défend, l’étiquette lui commande de s’ennuyer tout seul. Heureux comme un roi ! dit le proverbe. Enfin le prince rentre. Dom Pedro V reste avec lui et la princesse jusqu’à huit heures. Après