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mérite, qui donne seule le sentiment du vrai, qui vous ramène aux impressions des sons justes après que l’oreille a souvent été fatiguée par une musique discordante, cette simplicité me paraît aussi rare à Paris que dans les petites villes. » Voilà son premier mot sur la société parisienne dans une lettre à Mme d’Albany, et quelques jours après, faisant allusion à la timidité de sa sœur, à la crainte que lui inspiraient tous ces salons célèbres, il écrivait à sa mère : « Que je voudrais que nous pussions persuader à ma sœur de jouer le jeu qu’elle a, d’en tirer tout le parti qu’il y a moyen d’en tirer ! Elle se fait toujours illusion sur la perfection d’un autre monde. C’est à Paris même, et au centre de sa meilleure société, que je répète que la distance entre toutes les sociétés n’est point incommensurable. » N’oubliez pas que les dissipations de la vie mondaine dérangent les habitudes méditatives de Sismondi, qu’il n’a plus le temps de se recueillir en lui-même et de résumer ses impressions. Rappelez-vous aussi que l’outrecuidance et la légèreté de certaines coteries académiques répugnaient à sa nature loyale. … Quant à mes livres, écrit-il à sa mère, ils n’en ont pas lu une ligne. Ce sont des hommes dans la tête desquels rien de nouveau ne peut entrer. La place qu’ils occupent à l’Institut leur fait croire qu’ils sont au pinacle, et ils considèrent les livres qu’on leur envoie comme un hommage qu’on leur doit et qui ne les engage à rien. » Sismondi n’était pas un vaniteux vulgaire ; sa mère et sa sœur l’avaient accoutumé aux plus sévères critiques. Esprit franc, il préférait une franche parole à ces félicitations banales qui prouvent qu’on n’a point lu. Bref, pour des raisons fort différentes, sa première impression est mauvaise, et lui, l’austère libéral, l’ardent novateur en toutes choses, c’est seulement parmi les vieillards qu’il retrouve son idéal de la France. Le tableau est curieux.


« Paris, 1er mars 1813.

«……. Combien je suis touché de votre aimable souvenir ! Combien je suis reconnaissant de ce que vous montrez quelque désir de me voir en Toscane ! Au milieu de ce monde si brillant, au milieu de cette société qu’on regarde comme la plus aimable de l’univers, j’en forme chaque jour le désir. J’ai besoin d’aller me reposer auprès de ma mère d’un mouvement qui est trop rapide pour moi, j’ai besoin d’aller rapprendre de vous à repasser sur mes impressions, à méditer sur ce que je vois et ce que je sens, à tirer enfin par la réflexion quelque parti de la vie. C’est une opération que je néglige ici d’une manière qui m’étonne et m’humilie ensuite. On me demande souvent quelle impression me fait Paris, et je ne sais que répondre, car je ne généralise point mes idées, et je ne me demande presque jamais compte de mes impressions. Après tout, elles n’ont pas été bien vives, je ne trouve pas une bien grande différence de ce que je vois ici à ce que je vois