Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 37.djvu/824

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

publication des œuvres politiques de Royer-Collard, due aux soins dévoués de M. de Barante, a fourni sur ces débats de précieux documens. Par là seront mis en présence et comme en parallèle l’ancienne organisation judiciaire et la nouvelle, ce que voulut détruire l’assemblée constituante, ce qu’elle entendait fonder. Plaçons-nous donc, s’il est possible, au point de vue de cette assemblée, afin de préciser ses conceptions et sa pensée. Nous verrons ensuite la part plus ou moins large qui a été faite à ces conceptions, à cette pensée, par les gouvernemens qui se sont succédé depuis la révolution, ce qu’il en reste encore, et à quelles améliorations on propose de soumettre le régime de la magistrature en France.


I

C’est dans la justice, dans sa bonne organisation, que l’assemblée constituante crut devoir placer la garantie des deux grands bienfaits qui étaient réclamés par le pays, la liberté civile et la liberté politique. Elle la voulait humaine, éclairée, incorruptible. Pouvait-elle mieux faire que de s’inspirer des idées d’un magistrat devenu l’un des premiers publicistes de l’Europe, qui semblait avoir écrit l’arrêt de mort de l’ancienne société en indiquant simplement les conditions selon lesquelles devait se constituer un état pour être libre ? Elle ouvrit donc l’Esprit des Lois au chapitre de la justice, écrit en face des parlemens, en face de la monarchie absolue, et y lut à peu près ceci : Il y a dans tout état trois pouvoirs distincts, le pouvoir législatif, le pouvoir judiciaire et le pouvoir exécutif. Chacun de ces pouvoirs a son autonomie, parce qu’il a sa raison d’être, et veut une indépendance absolue, sans quoi l’équilibre est rompu, et la liberté publique fatalement compromise. Il n’y a plus de liberté lorsque le pouvoir législatif est confondu avec le pouvoir judiciaire, car la vie et la liberté des citoyens sont remises à l’arbitraire du législateur ; il n’y a plus de liberté, lorsque le pouvoir qui fait les lois est chargé de l’exécution, parce qu’il peut appliquer tyranniquement les lois les plus tyranniques Il n’y a plus de liberté enfin, lorsque le pouvoir judiciaire est remis au pouvoir exécutif, parce que le juge peut facilement devenir un oppresseur. — Cette théorie des trois pouvoirs, Montesquieu s’était bien gardé, comme on pense, de l’opposer aux choses qu’il avait sous les yeux ; il la justifiait par des exemples saisissans tirés du gouvernement turc et des républiques italiennes, où le despotisme, sous deux formes différentes, avait tout confondu pour tout posséder ; mais ces exemples, il pouvait les prendre moins loin de lui. Chacun le sentit ; c’était bien ce qu’avait entendu l’écrivain. « Je voudrais