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un autre jour on les avait fait passer sous la quille du negher. La plus jeune, moins faite aux mauvais traitemens, était l’objet particulier des méchancetés sournoises de mon cuisinier nubien. Un matin qu’il la battait comme de coutume, elle perdit patience et lui laboura le front d’un coup de trique. Il vint tout sanglant me demander justice, et fut abasourdi quand je lui eus répondu le vulgaire « c’est bien fait. — Mais dit-il, monsieur n’a donc pas vu ce qui se passé sur toutes les barques, où l’on pend les négresses aux mâts pour rire ?… Les négresses, monsieur le sait bien, sont faites pour le divertissement des équipages. »

Puisque nous parlons de locations, il en est une qu’il faut mentionner, c’est celle-ci. Un propriétaire de jeunes esclaves, remarquant un village, une station où les caravanes s’arrêtent, y bâtit quelques maisons et installe dans chacune d’elles une jolie personne chargée de fournir au voyageur qui le désire de l’eau fraîche, de la merissa (bière nubienne) et de l’amour tout fait. La bent (fille) est taxée à une redevance mensuelle proportionnée à ses charmes : ce qu’elle fait en sus est pour elle. C’est à une association de propriétaires sans préjugés que l’important village d’Abou-Hamed, la porte de l’Atmour[1], a dû naissance, et il s’est créé, — tolérance musulmane ! — près du tombeau d’un saint renommé.


II. — LE FLEUVE-BLANC ET LES DERNIERES EXPLORATIONS.

J’ai parlé jusqu’ici des régions historiques et connues dont le Nil-Bleu est la grande artère : il me reste, avant de suivre la traite dans ses derniers progrès, à introduire le lecteur dans l’inconnu, parmi ces étranges populations du Nil-Blanc, dont l’existence était à peine soupçonnée il y a vingt ans. On sait que le Nil-Blanc, ou, comme on dit communément, le Fleuve-Blanc (Bahr-el-Abiâd), est ce grand affluent de gauche qui vient, vers le 15° 31’ de latitude nord, unir ses eaux rapides et d’un blanc sale aux eaux calmes et pures du Fleuve-Bleu. Le confluent n’est pas à Khartoum même, mais à un mille environ à l’ouest, à une pointe où l’on reconnaît encore les assises d’un palais que Saïd-Pacha voulut y faire construire en 1856. En face s’étend la base d’une île triangulaire, entourée de nombreuses sakiés (puits), et cultivée seulement pendant la saison des pluies. Des plages sablonneuses accolées à ses flancs se couvrent, deux mois avant les crues, de milliers de ces pastèques si appréciées par les gourmets de Khartoum. Cette île se nomme Touti ; elle est historiquement plus connue que Khartoum, car le célèbre

  1. Grand désert de Nubie.