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d’ailleurs rien d’un homme qui embrasserait cette profession comme un gagne-pain ; il faut pour réussir qu’il soit enthousiaste de son art. Il y a des veneurs qui ont reçu de l’éducation, quoique en général un goût inné pour le grand air et pour les exercices virils les ait entraînés tout jeunes à faire l’école buissonnière sur le dos des chevaux. Ce sont le plus souvent des types, — les hommes d’une idée fixe qu’ils poursuivent durant toute leur vie, et quelques-uns d’entre eux figurent sur le champ d’honneur depuis soixante ans. Rien de ce qui vient traverser leur but ou contrarier leur goût favori ne saurait trouver grâce devant leur impatience. On cite l’anecdote d’un huntsman qui, un jour de chasse où le vent transmettait faiblement l’odeur du renard, se mit à humer l’air avec violence, et le trouvant tout chargé d’un parfum de violettes dont les touffes serrées fleurissaient sur la lisière d’un bois : « Au diable, s’écria-t-il, les puantes violettes ! » Un autre appelait les hirondelles des oiseaux de mauvais augure ; les hirondelles annoncent la fin de l’hiver, et avec l’hiver finit à peu près la poursuite du renard. N’allez pas croire pour cela que le veneur soit indifférent à la nature ; il n’y a peut-être pas d’homme au contraire qui connaisse mieux que lui tous les traits du paysage sur lequel se déploie la chasse. Il semble seulement avoir la ferme conviction que le monde a été créé en vue du fox-hunting. Sur le courre, toute la nature lui parle. Il sait la valeur de tous les objets qui lui passent devant les yeux ; il connaît les habitudes du corbeau ou de la pie, dont le vol indique souvent la direction qu’a prise le renard, et la vue d’un troupeau de moutons dans le lointain lui suffit pour juger à l’air de ces animaux si l’ennemi se trouve près d’eux. Il lui faut surtout être en bons termes avec la meute. Ainsi que César connaissait le nom de tous ses soldats, de même le huntsman doit connaître le nom de tous ses chiens, les qualités de chacun d’eux et sa manière de chasser. Quant à leur généalogie, il la sait par cœur, et souvent ses enfans eux-mêmes héritent sous ce rapport de sa science hèraldique. On raconte que des chasseurs, étant un jour à dîner chez un célèbre veneur écossais, discutaient les quartiers de noblesse d’un des chiens de la meute, sans qu’aucun d’eux pût les déterminer exactement. « Allez chercher votre sœur, » dit le huntsman : à l’un de ses fils. Cette sœur, une jeune fille de seize ans, entra et résolut le problème sans hésiter. Chez lui, le huntsman, malgré la nature un peu farouche de ses occupations, est un excellent homme, surtout si l’on sait le prendre à ses bonnes heures, c’est-à-dire au retour d’une partie de chasse qui a été heureuse. Il existe maintenant en Angleterre un assez grand nombre de huntsmen célèbres, la plupart d’entre eux ont traversé des accidens qui ont mis plus d’une fois leur vie en danger ; mais