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permit un traitement énergique, et il fut promptement hors de danger, après quoi j’augurai avec raison que la convalescence serait longue et tourmentée par un état nerveux fort pénible. L’image de la Zinovèse revenait avec la présence d’esprit, et le malade ne trouvait d’allégement que dans l’abattement de ses forces. Il ne parlait plus jamais de la marquise ; je remarquai que, même dans le délire de la crise, son nom ne lui était pas revenu une seule fois.

Un soir, tout à coup il se fit en lui une lumière, et il me dit : — Mon ami, j’ai eu la tête si troublée que j’ai oublié beaucoup de choses. Comment se porte la marquise ? Êtes-vous mariés ?

— Tais-toi, lui dis-je, tu ne sais pas encore ce que tu dis ; je n’ai jamais dû épouser personne.

— Je n’ai pourtant pas rêvé,… non, non, je n’ai pas rêvé cela ! Le jour,… l’affreux jour de la mort… tu sais !… Je ne savais rien, moi. J’avais réfléchi, je reportais la bague… Oui, c’est bien cela ; mais je voulais voir Nama, je suis monté à Tamaris. C’est bien tout près d’ici. Tamaris ? Où suis-je à présent ?

— Tais-toi donc ! Je te défends de te préoccuper de rien !

— Tu as tort. Je fais, malgré moi, pour me souvenir de tout, des efforts terribles. Tiens, vois, la sueur m’en vient au front. Nama sait bien cela, elle ne me laisse pas chercher, et je suis soulagé quand je vois clair dans ma tête. Laisse-moi donc te dire,… puisque cela me revient… Oui, ce jour-là, j’ai vu la marquise, je lui ai parlé. Est-ce qu’elle ne te l’a pas dit ?

— Elle me l’a dit, tu me le rappelles.

— Eh bien ! tu sais ce qu’elle m’a confié ?

— Non, et je crois qu’elle ne t’a rien confié du tout.

— Si fait ! J’allais me déclarer, car je la trouvais seule et je me sentais du courage ; il y a comme cela des jours maudits que l’on prend pour des jours propices ! Eh bien ! elle ne m’a pas laissé parler pour mon compte, et comme je lui faisais, en manière de préambule, un tableau passionné de l’amour dans la fidélité et la sécurité du mariage, elle m’a interrompu pour me dire : « Oui, vous avez raison, c’est ainsi que j’aime mon fiancé, c’est ainsi que je l’aimerai toujours. » Mon Dieu ! quel fiancé ? qui donc ? ai-je dit. Elle a tiré de sa poche une carte de visite à ton nom et me l’a donnée avec un cruel et terrible sourire féminin, en disant : « Gardez cela, montrez-le à Mme Estagel de ma part, et rendez-lui ma bague, ou je vous tiens pour un malhonnête homme ! »

Il me sembla d’abord que La Florade me faisait un roman, comme il en faisait quelquefois, même en état de santé ; mais je me rappelai tout à coup une circonstance que je n’avais pas songé à m’expliquer. Avec sa coiffure d’uniforme et divers objets échappés de ses