une grande joie de me revoir, me témoigna la plus ardente reconnaissance, et m’entretint longuement de ses souffrances. Il me parla fort peu de la marquise, et je vis qu’il n’y mettait pas d’affectation. Il avait fort envie de s’intéresser à notre bonheur ; mais, loin d’en être jaloux, il se réjouissait presque naïvement d’être guéri d’une passion qui avait failli lui coûter si cher, et dont les conséquences avaient causé de si cruels désordres dans son organisme.
— Sais-tu, me dit-il, que j’ai des insomnies désespérantes ? Toujours cette femme morte, et toujours cette vague noire et le poignet de fer du brigadier que je sens entre mes côtes quand je respire sans précaution ! Ah ! tu me vois bien démoli ! Moi qui aurais bu la mer et avalé la tempête, je suis forcé de mesurer l’air que j’absorbe, et quand la houle est forte, j’ai le vertige ! Si ça continue, je serai réduit à quitter le service.
— Non, tu guériras ; mais, à propos du brigadier, où en êtes-vous ? Avez-vous fait bien sincèrement la paix ?
— Je crois que oui, je l’espère ; mais je n’en suis pas sûr. Tant que j’ai été sur le flanc, il a paru s’intéresser à moi ; depuis que je suis sur pied, je n’ai plus entendu parler de lui. Il est vrai que je ne suis jamais retourné de ce côté-là, et je t’avoue qu’il me serait très désagréable de recommencer une partie de lutte avec lui.
— Il faudrait pourtant en avoir le cœur net. La marquise m’a dit que le lendemain de ton accident il lui avait tout confié, et qu’elle lui avait fait jurer sur le Christ de ne plus songer à la vengeance ; mais il n’avait peut-être pas beaucoup sa tête ce jour-là, et il serait bon de voir s’il n’a pas oublié son serment.
— Eh bien ! tu as raison. Vas-y, tu me rendras service et tu me délivreras d’une de mes anxiétés. Si je pouvais être tranquille sur ce point, je me déciderais… Voyons, qu’en penses-tu ? Il y a une personne qui n’est pas précisément mon idéal, mais dont l’affection pour moi est sans bornes et dont l’influence physique sur moi est extraordinaire. Elle agit comme un calmant, et, dès que je suis auprès d’elle, mes fantômes s’envolent. Si j’en faisais ma femme ? Peut-être chasserait-elle les démons de mon chevet. Elle prétend avoir des amulettes contre les mauvais esprits, et je te jure qu’il y a des momens où je suis tenté d’y croire.
— Elle a un talisman souverain, répondis-je, elle t’aime ! Va, mon ami, épouse Mlle Roque. Elle est belle, et vous aurez de beaux enfans ; elle est bonne, et elle chassera les mauvais souvenirs ; elle a de quoi vivre, et si tu étais forcé de quitter le service, tu ne serais pas dans la gêne. Elle est agréée de Pasquali, et elle adoucira ses vieux jours. Enfin c’est une bonne action à faire que de ne pas la laisser retomber dans l’isolement, et le jour où tu te dévoueras