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vraiment à une femme, les démons cesseront de te reprocher le passé.

La Florade me serra énergiquement la main, et nous nous rendîmes ensemble au quartier de Tamaris. Je l’y laissai et courus au Baou-Rouge. Je trouvai le brigadier occupé à élaguer un pied de mauve de dix pieds de haut, qui ornait sa porte.

— Non, je n’ai pas oublié ! dit-il, quand il m’eut entendu. J’ai juré ! Et d’ailleurs, quand même la sainte dame ne m’aurait pas arraché ce serment-là, la chose m’avait fait trop de mal ! Je ne suis pas méchant, moi, et quand j’ai cru avoir tué ce jeune homme, je n’attendais que d’avoir enterré ma femme pour me tuer aussi. Dieu a voulu qu’il en revienne, et je n’irai pas contre la volonté de Dieu !

Il me pria d’entrer chez lui. L’ordre et la propreté y régnaient toujours. Les petites filles étaient bien tenues et fort embellies. La crainte ne les paralysait plus. Elles étaient vraiment aimables. J’en fis compliment à leur père. — Vous voyez ! dit-il en soupirant. C’étaient pourtant de bons enfans bien sages ! Ah ! comme on pourrait être heureux, si on voulait se contenter de ce que Dieu vous donne !

Il embrassa ses filles. Personne ne lui reprochait plus de les gâter ; mais, tout en savourant son bonheur, il regrettait son tourment.

Quand je retournai à Tamaris, Pasquali vint à ma rencontre. — C’est bien, me dit-il, tu es un brave garçon et tu mérites le bonheur que tu as. Le filleul vient de parler à la petite Roque et de lui engager sa parole. Tu peux partir à présent, puisque retourner auprès de notre chère marquise est la récompense du bien que tu nous fais.

J’embrassai le bon parrain et les nouveaux fiancés. Marescat me reconduisit à Toulon, et je lui serrai les mains en le quittant, car c’était, lui aussi, un bon et honnête homme.

Ma bien-aimée promise est aujourd’hui ma femme. Que pourrais-je ajouter à ce mot, qui résume toute ma félicité, toute ma foi et toute ma gloire en ce monde ? Paul est la bénédiction de notre vie, et si je ne regrette pas ma pauvreté méritante, c’est parce que j’ai pu rester laborieux et actif en soignant mes semblables, sans autre récompense que leur affection.

George Sand.