Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/294

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’estime qu’elle fait des choses par le prix qu’elle y met, par ce qu’elle y applique de force et d’argent sous le nom de services publics. Une nation ne peut s’empêcher de mettre son âme et même d’écrire un peu son histoire dans ses lois de finances. Qu’un de nos budgets seulement surnage au prochain déluge, et l’avenir y lira couramment tout ce que nous sommes, sans le microscope de ses érudits.

En attendant, c’est une lumière, s’il en fut, que le document belge dont nous allons rendre compte. Il est probable, me disait un Anglais fort entendu, M. Stuart Mill, que nous n’avons pas un livre pareil dans notre propre langue. Les analogies, les contrastes les plus inattendus failliront sûrement de cette étude : on ne l’aborde qu’en vue des rapports à saisir. Avant tout, il faut décrire à fond, quoi qu’il en coûte de soin et de patience, c’est-à-dire connaître et faire connaître.

Vous pourriez en peu de lignes esquisser le tableau de l’administration française, une hiérarchie si bien liée, une symétrie de si belle apparence ! Quelques coups de crayon suffiraient à la simplicité de ces grandes lignes ; mais le modèle britannique qui pose devant vous exige d’autres façons. Le plus laconique allongerait ses monosyllabes à poursuivre cette variété sinueuse et luxuriante qui s’étale ou plutôt qui se hérisse dans le gouvernement local de la Grande-Bretagne. Ceci tout d’abord est un jugement sur l’objet de votre description. Tant de choses qui se disputent votre attention, qui éprouvent votre analyse, ont un nom qui leur est commun : c’est la vie même que vous avez devant vous, la vie avec des caractères de phénomène et d’exception chez un grand peuple tout pétri de besoins, de volontés, d’ardeurs sanguines et musculaires ; mais, encore une fois, ne jugeons pas, ne préjugeons pas surtout, et tachons de laisser la parole aux choses.


I

La localité anglaise consiste en comtés, bourgs et paroisses.

Le comté est-il une région avec des intérêts, des mœurs, une topographie qui la distinguent naturellement ? Je ne sais : j’en doute fort, à voir ces cinquante-deux comtés que l’on trouve, rien que dans l’Angleterre et le pays de Galles. Le moyen de croire à tant d’individualités locales sur un si petit espace ? Cependant la tradition y est, si ce n’est la place : ces arrangemens de territoire sont chose immémoriale, et pour cause d’ancienneté, qui pourrait bien avoir créé des différences, des originalités sur un fond identique, il faut voir dans le comté une province plutôt qu’un département.