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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/461

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traite bien autrement qu’à Genève… » Cette bonhomie de Buffon, cette simplicité touchante, ce vieillard sublime redevenu enfant dans la vie de tous les jours, ce sont là des traits dont il faut se souvenir, afin de rectifier légèrement, à cette date au moins, la figure trop solennelle que nou3 a conservée la tradition. Toutes les personnes illustres qu’il a occasion de connaître, Diderot, Saint-Lambert, Turgot, Delille, Thomas, l’abbé Raynal, Mlle Clairon, Franklin, Bailly,. le prince de Beauvau, M. d’Aranda, ambassadeur d’Espagne, M. de Broglie, Mme de Boufflers, la reine elle-même et les princesses, sont caractérisées d’un mot juste et fin. Ici, c’est Diderot » toujours sur le trépied, hypocrite de morale,.. » capable pourtant de charmer les juges les plus difficiles, quand il veut bien ne pas déclamer. « J’ai revu Diderot, dont j’ai été très content, écrit l’ami de Rousseau ; il fut très sage, très honnête et très gai. » Là, c’est Turgot, « une belle figure, avec assez peu de physionomie, parlant assez bien, mais un peu lent, un peu lourd peut-être, accoutumé à dominer, et supportant difficilement un avis qui contrarie le sien. » M. de Broglie est « l’homme le plus spirituel de la cour. » Mme de Boufflers « a tout l’esprit qu’on peut avoir. » Mme Du Deffand, avec ses quatre-vingts ans passés, « court encore le monde, quoique aveugle, et voit plus clair dans les choses du monde que ceux qui les regardent de leurs deux yeux. » Franklin, dans sa simplicité silencieuse, lui paraît « un fin quaker. » La reine, selon les circonstances, a tour à tour « une beauté autrichienne et une beauté française. » Quant à la famille Necker, qui l’héberge et le patronne si gracieusement, il est naturel qu’il y revienne sans cesse. « Plus j’étudie M. Necker, écrit-il, plus j’en suis enchanté ; c’est un génie extraordinaire, et sa vertu égale au moins son génie. Si quelqu’un peut rétablir les finances, c’est lui. » Et ailleurs : « Je le croyais un grand homme, j’en suis sûr à présent. Il a tout, génie et vertu. Il est bien au-dessus de son siècle. » Et avec quel enthousiasme il parle de la digne compagne du ministre ! comme elle est restée simple et cordiale dans une position si haute ! quelle fidélité à ses amitiés d’autrefois ! Quand elle lit des lettres de Mme Moultou, elle est heureuse de retrouver le bon esprit helvétique dans sa fraîcheur et sa sincérité ; c’est un exemple qu’elle indique à la brillante Germaine. « Mme Necker, écrit Moultou, a fait lire tes lettres à sa fille pour lui donner l’idée des sentimens vrais et d’une solide raison. Mme Necker est charmante ; c’est un prodige d’esprit et de sensibilité. Elle est à Saint-Ouen pour sa santé, qui s’est bien rétablie. Nous nous sommes vus plusieurs fois. Elle m’aime beaucoup, je la trouve adorable. »

Malgré tant de plaisirs et d’ivresses, malgré les soupers, la comédie, les conversations étincelantes, Moultou, en véritable ami de