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indépendance, et, comme le dit le voyageur que nous avons cité, l’œuvre de la Turquie est accomplie, c’est-à-dire le Liban est réduit à l’état des autres provinces de l’empire ottoman. La ruse a fait ce que la force n’avait pas pu ou n’avait pas voulu faire. Abdul-Aziz a conquis ce que Sélim Ier n’avait pu conquérir. Je suis bien persuadé que cette conquête frauduleuse ne durera pas, et que la Turquie aura à se repentir de sa mauvaise habileté ; mais en ce moment sans doute elle s’applaudit d’avoir éludé encore une fois les efforts de l’Europe en faveur des chrétiens d’Orient.

Comparons un instant le résumé que la circulaire de M. Thouvenel du 1er juillet faisait de la convention organique, comparons-le avec l’état actuel du Liban, et nous comprendrons mieux les mécomptes déjà certains de l’Europe, mécomptes que la France n’a point à s’imputer puisqu’elle les a prévus et signalés. « Le gouverneur de la montagne, dit la circulaire, ne relevant désormais à aucun titre ni du pacha de Beyrouth ni de celui de Damas, le Liban cesse d’être exposé aux empiétemens et aux excitations de fonctionnaires qui croyaient avoir pour mission de contribuer de tous leurs efforts à hâter l’anéantissement des privilèges de ce pays. » Oui, les fonctionnaires turcs ne songeaient qu’à anéantir les privilèges et l’indépendance administrative du Liban ; mais le gouverneur chrétien, non indigène, est un vrai fonctionnaire turc. Il a aussi pour mission, qu’il le sache ou non, d’anéantir les privilèges du Liban, car ce sont ces privilèges qui font obstacle à son pouvoir.

« La montagne, dit la circulaire, se gouvernera elle-même sous un administrateur chrétien, au moyen d’institutions municipales qui assurent aux habitans des différentes races et des différens rites chrétiens les mêmes garanties d’impartialité et une égale participation à la gestion de leurs affaires communes. » Voilà assurément ce que voulait l’Europe, voilà ce que prescrit la convention organique ; mais voilà aussi ce que la Porte-Ottomane ne veut pas souffrir : elle veut que le Liban ne fasse plus une exception administrative dans l’empire, de peur que cette exception administrative ne devienne peu à peu une exception politique. La Turquie nouvelle, la Turquie centralisatrice, est ennemie de ces institutions municipales que supportait très bien l’ancienne Turquie ; elle craint qu’à l’aide de ces institutions les influences qui existent dans le pays ne prennent de la force ; elle se défie de tout ce qui ne procède pas d’elle-même : l’arrestation de Joseph Karam n’a pas d’autre cause. Il était puissant, non pas contre la Turquie, mais en dehors de la Turquie ; ç’a été là son plus grand tort, et si par hasard Daoud-Effendi parvenait par son adresse à se créer un parti et une force dans le Liban, j’ose prédire que Karam sera renvoyé de Constantinople pour détruire Daoud-Effendi.