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titres de noblesse étaient accordés à quelques-uns qui avaient fait une grande fortune. On répandait en beaucoup plus grande quantité une autre distinction qui était lucrative pour le trésor ou pour la caisse particulière du vice-roi, des brevets d’officiers de milice que les enrichis s’estimaient heureux de payer cher. L’étranger, qui par aventure avait été admis à parcourir l’Amérique espagnole, était surpris de voir dans de petites villes tous les négocians transformés en colonels, en capitaines ou en sergens-majors, et de trouver quelquefois ces officiers de milice en grand uniforme, avec l’ordre de Charles III, assis gravement dans leurs boutiques, pesant dans cette tenue le sucre, le café ou la vanille : « mélange singulier, dit M. de Humboldt, d’ostentation et de simplicité de mœurs. » Dans leur naïve ignorance, la plupart des créoles croyaient que le monde entier tournait dans le même cercle auquel se bornait leur horizon.

Cependant l’indépendance des colonies continentales de l’Angleterre avait tiré de leur somnolence les intelligences bien douées. Ce grand événement, qui s’était passé à leur porte, et dont le retentissement avait frappé les oreilles distraites des créoles mexicains, les avait remplis d’étonnement, et avait ouvert à leur imagination des perspectives qu’elle ne connaissait pas encore. Plus tard, la prospérité croissante des États-Unis, le rôle qu’ils commençaient à jouer dans le monde, leur donnèrent davantage à réfléchir. Ils avaient recherché des livres européens, et comme l’argent ne leur manquait point, ils s’en étaient procuré malgré la surveillance des inquisiteurs, et les avaient dévorés furtivement, s’assimilant le mal comme le bien. La révolution qui avait transformé les colonies continentales de l’Angleterre en Amérique, et en avait fait la république des États-Unis, n’était pas la seule qui eût contribué au réveil des Mexicains, et qui les eût fait incliner vers les innovations politiques. La révolution française de 1789, qui avait éclaté comme le tonnerre, avait répandu au Mexique, comme en tous lieux, une vive émotion parmi les classes qui avaient reçu quelque culture. C’est ainsi que les créoles mexicains avaient acquis peu à peu une notion plus juste de leurs droits. Une agitation mystérieuse se propageait. Or quel accueil les autorités espagnoles du Nouveau-Monde faisaient-elles à cette disposition nouvelle des esprits? Elles y répondaient par ces mesures coercitives que les gouvernemens frappés de vertige considèrent comme une panacée. « On crut voir, dit M. de Humboldt, le germe de la révolte dans toutes les associations qui avaient pour but de répandre les lumières; on prohiba l’établissement des imprimeries dans des villes de quarante à cinquante mille habitans; on considéra comme suspects d’idées révolutionnaires de paisibles citoyens qui, retirés à la campagne, lisaient en secret les ouvrages de Montesquieu, de Robertson ou de Rousseau. Lorsque la guerre