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ce qui m’empêche de bien entendre le sens de vos paroles… Votre nom ?…

— Leandro Barboso, directeur du cirque établi momentanément dans cette ville…

— Vos exercices me font peur, monsieur, et je ne puis y assister. Mon médecin m’a défendu tout ce qui me donne des émotions… Veuillez vous retirer. J’avais fait fermer ma forte ; je ne comprends pas pourquoi Rosette a si mal exécuté mes ordres.

— La pauvre fille a fait pour le mieux, dit Fabricio ; ne la grondez pas, mademoiselle, vous qui êtes si bonne… Mademoiselle Du Brenois, c’est à moi que vous devez en vouloir. Je suis Valentin, le petit orphelin de la ferme du Cormier.

— Valentin ! dit Mlle Du Brenois avec un mouvement d’indignation. Vous Valentin !… Allons donc ! sortez d’ici, vous dis-je, sortez ! — Elle agita violemment la sonnette ; Rosette parut sur le seuil de la porte.

— Rosette, s’écria vivement Fabricio, n’est-il pas vrai que je dis la vérité ? n’est-il pas vrai que je suis Valentin ? Mademoiselle Du Brenois, ajouta-t-il, j’ai eu bien à souffrir depuis que je vous ai quittée… J’ai fui votre château, les lieux où je devais jouir d’un bonheur assuré, pour entrer dans une carrière d’aventures où je n’ai rencontré que d’amères déceptions !…

— Doucement, Fabricio, doucement, dit à demi-voix le signor Barboso ; tu t’oublies, je crois.

— Je n’y entends plus rien, interrompit Mlle Du Brenois ; vous parlez tous les deux à la fois… Rosette, viens ici, j’ai peur d’une syncope. D’abord quel rapport existe-t-il entre le directeur du cirque et celui qui prétend être Valentin ?

— En rapport intime, répondit le vieux Barboso ; monsieur est le premier sujet de la troupe que je dirige.

— Grand Dieu ! s’écria Mlle Du Brenois en se renversant sur son fauteuil, Valentin serait devenu un saltimbanque !… Et il oserait se présenter devant moi !…

Le signor Barboso ouvrait la bouche pour répondre à cette véhémente apostrophe ; mais Valentin l’arrêta et dit avec calme : — Oui, mademoiselle, j’ai été pendant dix ans un saltimbanque, un écuyer, un sauteur, comme vous voudrez. Élevé au fond d’une campagne où je ne voyais personne, j’ai eu peur de vous quand vous m’avez parlé au bord du ruisseau. Pendant la nuit que j’ai passée dans votre château, d’étranges terreurs m’ont assailli, et j’ai pris la fuite. La fermière du Cormier refusa de me recevoir chez elle, et moi je ne pus me résoudre à retourner au château. Ma pauvre tête se troubla ; un enfant de douze ans peut-il comprendre la portée de ses