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Page:Revue des Deux Mondes - 1862 - tome 38.djvu/967

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abusé, en voulant les faire servir à légitimer la manière dont la révolution a combattu pour eux et la manière dont elle y a cru, en voulant donner à entendre que ceux qui les aiment ne peuvent manquer d’approuver tous les moyens employés pour cette bonne cause, et que ceux qui condamnent les actes de la révolution ne peuvent le faire que par inimitié pour ces principes. — Mais les circonstances, mais la fatalité des situations! Eh ! certainement, si tous les hommes de l’époque avaient trop peu de raison pourvoir les conséquences de leurs actes et trop peu de conscience pour se faire scrupule des mauvais instincts qui devaient produire au dehors le mal et la souffrance, il fallait bien que cette déraison et cette inconscience portassent leurs fruits. Que la fatalité remontât plus ou moins haut, que les tendances qui rendaient la violence inévitable eussent commencé chez les rois qui avaient abusé de la contrainte, et qu’elles fussent partagées par les ennemis de la révolution, qui étaient tout disposés à en abuser aussi, cela n’a rien à voir avec la valeur de ces tendances; cela n’empêche point qu’elles soient la mauvaise tentation qui ne conduit qu’au crime et à la ruine. — Mais les avantages et les précieuses conquêtes que la France doit à la révolution? objectera-t-on encore peut-être. Oh ! voilà la pensée où se cache le piège. Les neuf dixièmes des malheurs humains n’ont pas d’autre cause que cette arithmétique-là, qui suppute les avantages que l’on se procure en commettant l’injustice, et qui évalue d’après eux seuls le profit et la perte. Ce qui fait de la politique sans scrupule un faux calcul, c’est qu’elle est comme la conduite du prodigue qui augmente ses revenus en plaçant son capital à fonds perdu. Pour satisfaire un désir du moment, pour obtenir un bien qui n’est qu’un élément unique de prospérité, on s’accorde des licences de conduite qui laissent derrière elles des maladies permanentes : on s’habitue à être sans scrupules, et au total on a contracté les vices avec lesquels les peuples et les individus sont incapables de prospérer en rien. La France a gardé plusieurs des conquêtes de 89, mais a-t-elle lieu de s’applaudir en somme de ce que la révolution a laissé dans les esprits? Y a-t-elle gagné ce qui permet de fonder et de maintenir de bonnes institutions? A-t-elle au moral la santé, la force et la continence qui font réussir les nations dans toutes leurs entreprises?

En définitive, que désirons-nous? Est-ce l’égalité? est-ce la liberté? est-ce une combinaison démocratique qui épargne à la vanité l’idée pénible d’une supériorité en appelant les uns comme les autres à élire l’autorité qui doit ensuite dicter la loi à toutes les volontés? est-ce un arrangement qui épargne à tous la dégradation de n’être que des machines en rendant aux forces individuelles la libre disposition d’elles-mêmes? Si c’est l’égalité seule que nous désirons, continuons à réhabiliter et à encenser notre révolution; vantons les