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SOUVENIRS
D’UN SIBÉRIEN

III.
L’ÉVASION ET LE RETOUR.


I.

L’empereur Nicolas avait rendu, à la fin de 1845, une ordonnance dont j’ai parlé[1], et qui avait pour but d’aggraver la situation des déportés en Sibérie en resserrant autour d’eux les entraves qui s’étaient relâchées avec le temps, avec l’usage, et par suite même de l’impossibilité où l’on était bien souvent d’exécuter la dure loi de la katorga. Des commissions nommées ad hoc visitaient les établissemens pénitenciers, afin de proposer de nouvelles mesures de rigueur. La cohabitation obligée de tous les forçats dans les casernes fut le point que l’on crut pouvoir et devoir accorder en premier lieu à l’ombrageuse disposition du tsar. Tout cela devait me faire persister dans un projet conçu depuis bien longtemps. Au moment même où je signais à Kiow le jugement qui me condamnait aux travaux forcés à perpétuité, j’avais conçu le projet de me soustraire au séjour maudit : une vague espérance de revoir encore le monde des vivans et des hommes libres était entrée dans mon esprit. Les durs travaux auxquels je fus assujetti dans la première période de ma katorga n’avaient guère été de nature à m’encourager; mais ma confiance se ranima aussitôt qu’employé dans les bureaux de l’établissement d’Ekaterininski-Zavod, je pus étendre le

  1. Voyez la Revue du 1er et du 15 avril.