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point le décourager par des airs de supériorité accablante. La période critique, si l’on peut s’exprimer ainsi, est celle qui précède immédiatement la course ; d’excellens coureurs perdent souvent leur défi à cause de l’inquiétude qui les dévore jour et nuit peu de temps avant l’épreuve. C’est au trainer d’inventer alors des moyens de diversion et d’inspirer à l’homme qui lui appartient une grande confiance en soi-même (self confidence).

Quel est maintenant le résultat de cette préparation ? Un coureur avant ou après le training n’est plus le même homme. Les merveilles d’une telle transformation ont été reconnues par tous les médecins physiologistes, et j’en ai vu moi-même des exemples extraordinaires. Les chairs molles, flasques, soufflées., comme disent les professeurs de l’art, prennent sous l’action du système la dureté et la fermeté du marbre ; les muscles, endormis jusque-là sous la graisse, se prononcent avec une vigueur et une sécheresse admirables ; tous les membres se réduisent à de justes proportions, sur lesquelles se colle une peau lisse, fine et serrée. La conséquence du training n’est pas seulement d’accroître les facultés matérielles de l’élève, c’est encore de le protéger contre les accidens qui accompagnent trop souvent chez les autres un excès de fatigue. Le froid, la pluie, le vent, la sueur, glissent maintenant sur ses membres de fer sans qu’il s’en aperçoive. À en croire les physiologistes pratiques de la Grande-Bretagne, toutes les constitutions et presque tous les âges pourraient être modifiés par le même régime ; tous les hommes y trouveraient une source de force et de santé. Un spectacle tout aussi curieux pour moi que la course elle-même est en effet de voir les coureurs, arrivés sur le terrain, rejeter le tapis brun qui les couvre comme d’un manteau, et étaler alors au soleil les muscles que l’éducation professionnelle leur a faits. S’étonnera-t-on après cela des louanges un peu brutales que les Anglais prodiguent à ces hommes ? Comme les pédestriens portent volontiers des noms d’animaux, on croirait aisément, à lire dans les journaux de sport le compte-rendu d’un running match, qu’il s’agit d’une ménagerie. « Le cerf de Londres (London stag) n’avait pas sur lui une once de chair superflue ; le daim américain (american deer) était admirable de proportions, et sa chair se montrait dure comme l’ongle ; l’antilope (antelope) n’avait jamais été vu en si bonne condition… » Tout cela est un peu bestial, je l’avoue, et il semble au premier abord que l’homme se soit anéanti chez nos voisins dans ses fonctions physiques. Qu’on se rassure pourtant : cette nation, qui admire chez certaines spécialités le développement de la force, a ses Dickens, ses Thackeray, ses Bulwer, auxquels elle paie d’un autre côté le tribut d’hommages qui est dû à l’intelligence. Dans le temps, une certaine école religieuse a beaucoup pailé en France de réha-