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extraordinaire de construction qui suivit l’an 1000 amena dans l’architecture chrétienne le plus grave changement qu’elle ait jamais subi. On n’ajouta rien d’essentiel à la vieille basilique, mais on en développa tous les élémens. A la charpente on substitua la voûte; des contre-forts sont acculés aux murs pour soutenir les poussées; les rapports de l’élévation et de l’écartement sont changés. En même temps tout prend du style, et bientôt ce style devient de l’élégance. La colonne s’applique comme décoration au lourd pilier; le chapiteau vise à copier le corinthien ou le composite, même quand il est historié. La forme de l’église est nettement déterminée : c’est une croix latine, dessinée par une nef élevée, flanquée de bas-côtés. Deux tours, d’ordinaire carrées, percées de plusieurs étages de petites fenêtres en plein-cintre, ornent l’entrée. Une rosace, au moins rudimentaire, complète la façade. Le chœur s’allonge un peu et parfois s’entoure de bas-côtés. Les fenêtres sont étroites, et souvent divisées par le milieu. Une coupole centrale s’élève à la jonction de la nef et du transept. Un progrès non moins sensible se fait sentir dans l’exécution. On se préoccupe de la durée. A l’intérieur, on vise surtout à une grande richesse; les murs et les pavés sont revêtus d’incrustations colorées, les colonnes resplendissent d’une éclatante polychromie. Il semble qu’on veuille modeler l’église sur la Jérusalem céleste, resplendissante d’or et de pierreries.

Ainsi naquit le style dit roman, qui, au XIe siècle et dans la première moitié du XIIe, couvrit la France d’édifices pleins d’harmonie et de majesté, Saint-Étienne de Caen, Saint-Sernin de Toulouse, Notre-Dame de Poitiers, etc. Quand on étudie bien ces églises, on voit que c’est au moment de leur apparition qu’il faut placer l’acte vraiment créateur de l’architecture du moyen âge. Ce sont déjà des églises gothiques pour la forme générale, l’aménagement intérieur, le jeu des nefs et des galeries. Le principe est posé, il n’y a plus qu’à le développer. Le midi, le Poitou, l’Auvergne, procédèrent timidement dans ce développement. La Provence et le Languedoc continuèrent à bâtir en roman jusqu’au XIVe siècle. Le nord au contraire ne s’arrêta pas. Soit que les églises romanes y fussent moins bien construites et qu’un grand nombre d’entre elles se fussent écroulées dans le commencement du XIIe siècle, soit que cette partie de la France obéît à des besoins d’imagination plus élevés, le mouvement architectural s’y continua sans relâche, et cent cinquante ans après sa naissance le style roman y subissait une profonde modification.

Le travail abstrait d’où sortit cette modification dut être quelque chose de surprenant. D’une part, les maîtres maçons du nord trouvèrent que les églises romanes avaient quelque chose de lourd et